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Les aventures

graces ! Quelle apparence pour moi que dans ce désert, où je croyois périr de faim, j’y dusse trouver une table aussi abondante !

Il n’y a point de stoïcien qui ne se fût diverti de me voir dîner avec toute ma famille. J’étois le roi & le seigneur de toute l’isle : maître absolu de tous mes sujets, j’avois en ma puissance leur vie & leur mort. Je pouvois les pendre, les écarteler, les priver de leur liberté, & la leur rendre. Point de rebelles dans mes états.

Je dînois comme un roi à la vue de toute ma cour : mon perroquet, comme s’il eût été mon favori, avoit seul la permission de parler. Mon chien, qui alors étoit devenu vieux & chagrin, & qui n’avoit pas d’animaux de son espèce pour la multiplier, étoit toujours assis à ma droite. Mes deux chats étoient l’un à un bout de la table, & l’autre à l’autre bout, attendant que, par une faveur spéciale, je leur donnasse quelques morceaux de viande.

Ces deux chats n’étoient pas les mêmes que ceux que j’apportai avec moi du vaisseau ; il y avoit long-tems qu’ils étoient morts & enterrés de mes propres mains. Mais l’un ayant fait des petits, de je ne sais quelle espèce d’animal, j’apprivoisai ces deux ; car les autres s’enfuirent dans les bois & devinrent sauvages. Ils s’étoient tellement multipliés, qu’ils me devinrent très-incommodes. Ils