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— Ah ! ah ! Vois-tu le pétard, au Salon, sur une grande toile ? Il faut peindre çà sans rien sacrifier à la convention, parce que si tu veux retrancher ou ajouter quelque chose, ce ne sera plus le cimetière Montmartre. Le public doit pouvoir comparer. Qu’est-ce que tu dis de ce fond de maisons inégales, de gigantesques cheminées d’usines, de hangars ?… Et de la trouée, à gauche, sur une houle de toits ? Doit-il faire assez froid là-dessus, hein ? Sacristi !… Quand tu auras fourré dans ton tableau la butte, ce tas de bâtiments que nous voyons, un hospice sans doute, le moulin de la Galette avec ses cinq ou six drapeaux qui ne valent pas la corde pour les pendre, tu pourras te vanter d’avoir eu sous les yeux un fameux coin de nature… Tiens ! en ce moment aperçois-tu des tons roses, là-bas, sur la neige, des finesses bleutées, des jaunes exquis, et toutes sortes de phénomènes d’irisation parmi les ombres pâles ? Le sentiment de ça, c’est la solitude ; donc, pas de personnages idiots. Et tâche d’avoir de l’intelligence pour ne point ressembler à la plupart de tes confrères…

Ils promenèrent encore pendant quelques minutes leur contemplation sur les splendeurs du paysage d’hiver, mais une lassitude avachissante les envahissait, et leurs yeux devenaient troubles.

— Oh ! fit tout à coup le peintre, l’enterrement !… nous oublions l’enterrement.

— C’est vrai.

Sans plus tarder ils regagnèrent d’un pas accéléré l’avenue que, précédemment, ils avaient quittée. Personne n’était là pour leur indiquer le chemin à prendre. Ils se sentirent très embarrassés. L’idée de suivre les traces du convoi sur la neige ne leur vint pas ; et ils se regardaient, la face ahurie, ne sachant à quel saint se vouer. Un corbillard qui se dirigeait vers eux ne tarda point à les rejoindre. C’était celui de Francine, mais la Bretonne n’y était plus.

— Cocher, où est la fosse ? demandèrent-ils.