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de l’armée, avec son encrier pendu à la ceinture, une plume derrière l’oreille et du papier à la main. Plus loin, des deux côtés, les anciens de la Sitche aux longues moustaches. Ces derniers, quoique leur âge avancé ne leur permît plus de revêtir une fonction, prenaient les premiers la parole dans les assemblées. Plus d’un avait été « kochovy »[1] ; aussi jouissaient-ils de la déférence et du respect que l’on témoigne à des frères. Ils étaient cinq, comme cinq pigeons blancs, la tête penchée sous le poids des pensées. Des chefs de « kourines »[2] et d’autres dignitaires fermaient le premier rang du cercle du conseil. Tous étaient nu-tête, comme il convenait dans un lieu de justice.

La procédure du jugement de Kyrylo Tour fut ouverte par le père Pouhatch. Étant sorti du rang, il s’inclina profondément vers les quatre points de l’horizon, fit une révérence spéciale à l’hetman, aux anciens et à chacun des chefs, puis commença à parler d’une voix forte et grave.

« Monsieur l’hetman, et vous, pères, et vous, messieurs les chefs, et vous, confrères, braves compagnons, et vous, fidèles chrétiens. Sur quoi repose l’Ukraine, si ce n’est sur la Sitche Zaporogue ? Et la Sitche Zaporogue, elle-même, sur quoi repose-t-elle, si ce n’est sur les anciennes coutumes des ancêtres ? Personne ne peut dire exactement quand l’ordre de chevalerie cosaque a commencé. Il avait déjà commencé à l’époque reculée des Varègues, nos glorieux ancêtres, qui s’acquirent de la gloire aux yeux du monde et sur terre et sur mer[3]. Or personne d’entre les cosaque n’avait encore souillé cette précieuse gloire, ni le cosaque Baïda, qui fut pendu à un croc de fer à Constantinople, ni Samylo Kichka, qui souffrit pendant cinquante-quatre ans sur les galères turques. Il n’y a qu’un seul misérable, un seul débauché qui l’ait souillée, et ce vilain est devant vous. »

À ces mots il prit Kyrylo Tour par les épaules et le faisant tourner sur lui-même. « Regarde, coquin, » dit-il, « regarde en face ces braves gens et que cela serve de leçons aux autres. »

« Et qu’a donc fait ce gredin ? » poursuivit le père Pouhatch en s’adressant à l’assemblée. » Il a commis une action sur laquelle on ne peut que cracher dessus et non point la nommer[4]. Ce

  1. Chef élu de la Sitche zaporogue, qui peut être considéré comme le président de cette république de cosaques ukrainiens.
  2. Détachements.
  3. Voir plus haut à la page 20 — 21.
  4. Il avait enlevé malgré elle une jeune fille de chez ses parents.
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