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vilain a déshonoré toute la confrérie pour longtemps. Monsieur l’hetman, et vous, pères, et vous, messieurs les chefs, et vous, confrères, réfléchissez bien, délibérez entre vous et décidez de quelle manière nous pourrions nous laver de cette infamie, quel châtiment nous devons infliger à cet impudique. »

Personne ne se hâtait de prendre la parole : on attendait que l’hetman se prononçât. Et les anciens dirent : « Prononce-toi, père hetman. Ta parole c’est la loi. »

Broukhovetsky s’inclina profondément et parla :

« Mes très honorés pères. Que pourrait imaginer mon faible esprit ? Ce sont vos vénérables têtes blanches, qui sont pleines de jugement. Vous vous entendez à tous les anciens règlements et coutumes. Jugez comme vous le trouvez bon. Quand à moi, ce n’est pas pour rien que je vous ai amenés de la Sitche Zaporogue en Ukraine : dirigez-vous selon les anciennes coutumes, comme vous les savez ; jugez et décrétez le châtiment qui vous semblera bon. Moi, je n’opposerai pas mes raisonnements aux vôtres. Nous tous ne sommes devant vos cheveux blancs que des enfants et des sots. »

« Eh bien, s’il en est ainsi, firent les anciens, point n’est besoin de réfléchir si longtemps : qu’il soit mis au poteau et qu’on lui donne la bastonnade. »

Le malheureux Kyrylo Tour fut lié et mené vers un poteau qui se trouvait non loin de là. On l’y attacha de façon qu’il pût tourner autour et même on lui laissa le bras droit libre, afin que le malheureux pût prendre un puisoir et s’abreuver d’hydromel et d’eau-de-vie. Car il était d’usage chez ces étranges Zaporogues que l’on mît près du poteau un cuveau d’eau-de-vie et un panier rempli de petits-pains, d’abord pour que le supplicié en se grisant échappât à de trop grandes souffrances avant d’expirer et ensuite pour que les cosaques eussent plus de cœur à la besogne. Chacun des confrères s’arrêtait en passant près du poteau, buvait un gobelet d’hydromel ou d’eau-de-vie, mangeait là-dessus un petit-pain, prenait un bâton, en appliquait un coup au coupable et poursuivait son chemin. « Or, racontaient les vieilles gens, ils avaient l’horrible habitude de frapper si fort qu’après sept coups environ, on n’était plus de ce monde. » Il arrivait aussi, quoique très rarement, qu’aucun des confrères ne touchât au gobelet et que tous, en conséquence, passassent outre sans prendre le bâton dans la main, comme

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