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En assistant de loin à cette exécution de la Sitche, Pétro pensa en lui-même que Kyrylo Tour ne saurait supporter longtemps de semblables caresses. Prenant en pitié l’infortuné, il s’approcha pour lui demander s’il ne voulait rien faire dire à sa sœur et à sa mère.

Cependant Bohdan Tchornohor croyant que le nouveau venu voulait, lui aussi, éprouver la solidité des épaules de Kyrylo, se plaça devant son ami et, mettant la main à son sabre, s’écria : « Ah, ça non ! Je ne souffrirai pas que le premier venu ose offenser mon frère. Il y a déjà assez de nos confrères. »

« Que tu es bête, fit Kyrylo Tour, voyons, laisse-le faire. C’est un brave homme ; il ne te traînera jamais dans la fange, mais plutôt il t’en sortira. Salut, frère. Tu vois comme on régale ici les gens ! Bien sûr, ce ne sont pas des crêpes chaudes, mon ami. Allons, buvons un coup d’hydromel pour adoucir l’amertume. »

« Bois seul, frère, répondit Pétro, je ne tiens pas que vos anciens me forcent de te remercier par un coup de bâton. »

« Alors, à votre santé, frères, fit Kyrylo Tour, je boirai seul. »

« Que faudra-t-il dire à ta mère et à ta sœur, » reprit Pétro.

En se souvenant de sa mère et de sa sœur, Kyrylo Tour baissa la tête, puis se servant des parole d’une chanson, il dit :

« Holà, cosaques ! s’il arrive à quelqu’un d’entre vous d’aller dans mon pays, qu’il salue de ma part ma mère infortunée. Elle aura beau pleurer, elle ne fera pas revenir son fils, car déjà les corbeaux croassent au-dessus de son Kyrylo ! »

« C’est ce qui t’arrivera à coup sûr, malhonnête que tu es, » lui dit, en s’approchant et suivi de trois autres, l’un des anciens de la Sitche. « Ne mets pas ton espoir dans les jeunes qui t’épargneront, nous autres, nous serons bien assez forts pour t’achever. Attends seulement que nous buvions un coup d’eau-de-vie. »

Là-dessus, il prit le gobelet, puisa de la liqueur, but, poussa une exclamation approbatrice et ayant pris un bâton : « Que pensez-vous, pères, dit-il. Faut-il lui taper sur la tête pour que le vaurien crève sur le champ ? »

« Non, frère, répondit un autre, personne n’a jamais vu que l’on frappât le coupable sur la tête. La tête est l’image de Dieu ; ce serait un péché de lever un bâton sur la tête. Elle n’enfante jamais les fautes, c’est le cœur qui est la source des

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