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pensées mauvaises, des meurtres, des adultères, du libertinage et des vols, mais la tête est innocente. »

« Alors, fit un troisième, que faut-il faire, s’il n’est pas possible d’atteindre ce cœur maudit avec un bâton ? On ne parviendra jamais à achever ce taureau en le frappant sur les épaules, même avec le fer d’une hache. Ce serait cependant bien dommage de laisser vivre un séducteur pareil ; la glorieuse Sitche Zaporogue dépérit déjà bien assez comme ça. »

« Écoutez, intervint un quatrième, si Kyrylo Tour arrive à supporter cette correction, qu’on le laisse vivre : un cosaque de cette trempe servira bien à quelque chose. »

« Servir à quelque chose ? s’exclama en passant le père Pouhatch. À quoi diable pourrait bien servir un séducteur de cet acabit au milieu des chrétiens ? Tapez dessus, tapez dru sur ce misérable ! Je regrette beaucoup de ne pouvoir plus prendre un bâton, sans quoi j’aurais tapé dessus jusqu’à ce que j’aie achevé le cuveau d’eau-de-vie. N’épargnez pas, pères, cette espèce de vilain. »

Alors les anciens, l’un après l’autre, burent un gobelet d’eau-de-vie, prirent un bâton et en appliquèrent un coup sur les épaules de Kyrylo Tour. Leurs vieux bras avaient encore assez de force, aussi les épaules du condamné en craquèrent-elles. Un autre que Kyrylo Tour eût succombé depuis longtemps, mais lui supporta les quatre coups sans même faire une grimace et lorsque les anciens se furent éloignés, il se mit à plaisanter en s’adressant à Petro :

« On frotte dru, disait-il, aux bains de la Sitche. Après un tel massage on ne risque plus d’avoir mal aux épaules ni au dos. »

« Que faut-il dire à ta vénérable mère ? » insista Pétro.

« Que pourrais-tu bien lui dire ? répondit Kyrylo Tour. Dis-lui tout simplement que le cosaque est mort. Quant à la marque de l’endroit où est caché mon trésor, mon frère juré la connaît. Il en donnera une partie à ma vieille maman et à ma sœur, il en portera une autre partie à la Confrérie à Kiev pour qu’on y prie pour le repos de mon âme et le reste il le prendra au Monténégro, pour que de braves jeunes gens en achètent des olives et du millet noir, afin que l’on ait de quoi célébrer la mémoire de Kyrylo Tour, dans les tournois. »

« Courage, mon frère, dit Bohdan Tchernohor, personne ne lèvera plus la main sur toi. Bientôt le tambour va annoncer

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