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« l’idée perverse de se croire un peuple tout-à-fait distinct du nôtre ».

À cette même époque, on commençait dans la littérature polonaise et allemande à se servir du terme de « ruthène » pour désigner les Ukrainiens. C’était la forme latinisée employée très anciennement (déjà aux xiie et xiiie siècles) sans distinction au lieu de « russe ». Mais elle passa de plus en plus dans l’usage pour distinguer des Moscovites les habitants de la Russie méridionale, jusqu’à ce qu’elle devînt une appellation officielle, surtout depuis que la domination autrichienne s’était étendue sur l’Ukraine Occidentale.

De toutes ces dénominations le nom d’« ukrainien » devait seul prévaloir. Le mot « Oukraïna » correspond exactement à l’expression allemande de « Mark » qui a donné le mot français « la marche », pays de frontière. Nous le rencontrons pour la première fois dans la chronique de Kiev, où il désigne la principauté de Péréïaslav avoisinant la steppe et par conséquent exposée aux incursions des nomades. Dans la chronique de Galicie-Volhynie, on s’en sert de même pour les territoires situés sur la frontière polonaise (pays de Kholm). Enfin il resta à tous les territoires ukrainiens en bordure de la steppe : au xve siècle, après les grandes dévastations tartares, on appelle « Oukraïna » les pays sur les deux rives du Dniéper. Tout ce qui se trouvait à l’est et au sud-est de la Volhynie : les palatinats de Kiev, de Braslav et de Tchernyhiv, c’était l’Ukraine, les contrées vivant sous la menace perpétuelle de l’ennemi, sur pied de guerre.

Les cosaques délivrent ces vastes territoires de la menace tartare, ils se colonisent et vivent dans une paix relative, mais le nom reste. De sorte que lorsque la colonisation ukrainienne dépasse de beaucoup la frontière polonaise, s’étend vers l’est jusque dans le bassin du Don, les nouvelles colonies, sous la domination immédiate de Moscou, reçoivent le nom d’« Oukraïna Slobidska », l’Ukraine des franchises, qui se conservera jusqu’au xixe siècle.

Mais, dès la première moitié du xviie siècle, à mesure que l’Ukraine Occidentale va en s’affaiblissant sous le joug pesant de la noblesse polonaise, l’Ukraine du Dniéper se relève de ses ruines et concentre une fois de plus les forces matérielles et intellectuelles de la nation, avec Kiev pour capitale. Plus tard, au xixe siècle, Charkov, centre officiel de l’Ukraine Slobidska, voit naître autour de sa nouvelle université un brillant mouvement littéraire, dont les participants emploient avec amour le

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