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Le résultat est que, avec le temps, le grand-russe et le ruthène, qui continuent un seul et même type de parlers slaves, le type russe, sont, par suite de l’indépendance de leurs développements, devenus des langues distinctes. Les linguistes de l’Académie de Pétrograd l’ont proclamé nettement. Mais deux langues slaves, même de types éloignés, diffèrent moins entre elles, on le sait, que deux langues romanes, même voisines. Et ce qui, au premier abord, frappe l’étranger qui compare le grand-russe et le ruthène, ce ne sont pas tant les différences que les ressemblances.

Toutefois, si l’unité ancienne du russe transparaît nettement aux yeux du linguiste, et si elle est encore une force qui peut et qui doit rendre de grands services, la différence actuelle des parlers est telle que les littératures fondées sur les deux langues sont distinctes. Les deux groupes de populations ont d’ailleurs un passé si différent, un tour d’esprit, une sensibilité si distincts que les deux littératures ne se ressemblent guère.

La littérature du grand-russe est bien connue ; elle a exercé au xixe siècle une grande action sur l’Europe. Masquée par la Russie orientale d’une part, par la Pologne de l’autre, la littérature de langue ruthène est peu connue au dehors. Le recueil qui est maintenant soumis au public fera entrevoir, pour les Russes de l’occident, qu’on les nomme Petits-Russes, Ruthènes ou Ukrainiens, à la fois leurs vieux titres de noblesse intellectuelle et la fraîcheur, la force d’expression de la littérature des temps modernes. On verra quelle en est la savoureuse originalité.

A. Meillet.
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