Nous avons quitté Poltava pour venir vivre ici. C’est à cela que nous a menées ton pauvre père.
Maman… Il était destiné dès le berceau à vivre riche jusque dans ses vieux jours et à mourir pauvre. C’était écrit ; il n’est pas coupable.
Il aurait mieux valu que je meure, moi — je n’aurais pas eu tant à souffrir et surtout par ton entêtement.
Vous souffrez de mon entêtement, maman ?
Je le crois bien ! Combien de gens très acceptables ont demandé ta main, des gens sensés, aisés, honorables, et tu les a tous refusés. Qu’espères-tu donc ?
J’ai mis mon espoir en Dieu. J’aimerais mieux rester vieille fille que d’épouser des prétendants comme ceux qui ont demandé ma main. Il n’y a pas à dire : ce sont de jolies gens !
Et pourquoi pas ? Le chantre de Taktaoulivka n’est-il pas un homme ? Il est instruit, sensé et n’est pas sans le sou. Et le greffier du canton, et le sous-secrétaire Skorobrechenko[1], n’est-ce pas des gens ? Qui espères-tu épouser — quelque gros propriétaire ou quelque joli monsieur de la préfecture ? Le meilleur serait que tu épouses le chantre, tu serais casée. D’abord tu serais femme de chantre et plus tard de pope.
Qu’il soit même archipope, Dieu le garde ! Mais s’ils étaient les plus sensés, les plus riches et les plus savants du canton, qu’est-ce que cela me ferait, s’ils ne disent rien à mon cœur, s’ils ne me plaisent pas. Quant à leurs savanteries, ils peuvent aller s’en vanter !
Je sais pourquoi ils ne te plaisent pas. Tu es entichée de ton Pétro. Tout ça, c’est des bêtises à quoi tu penses : voilà déjà quatre ans qu’on n’en a pas la moindre nouvelle.
Eh bien, quoi ? Lui non plus ne sait pas si nous sommes vivantes. Et s’il est en vie, il ne nous oublie pas, mais il a peur de revenir.
Tu te rappelles que dans ses derniers temps ton pauvre père n’aimait pas Pétro et qu’en mourant il n’a pas
- ↑ Un sobriquet : craqueur.