Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/25

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cité, de résignation, de sensibilité courageuse. On y lisait ces paroles : « Ne parle pas à Joséphine (c’était le nom de sa fille) du malheur de son père ; fais en sorte qu’elle l’ignore. Quant à mon fils, il n’y a rien que je n’attende de lui. »

Hélas ! la victime se faisait illusion. Le coup était trop rude ; il dépassait les forces d’un jeune homme de dix-huit ans : Ampère en fut terrassé. Ses facultés intellectuelles, si actives, si ardentes, si développées, firent subitement place à un véritable idiotisme. Ses journées, il les passait à contempler machinalement le ciel et la terre, ou à faire de petits tas de sable. Si des amis, inquiets sur un dépérissement rapide dont les conséquences semblaient devoir être fatales et prochaines, entraînaient le pauvre jeune homme dans les bois voisins de Poleymieux, « il était (je transcris ici les propres expressions de notre confrère), il était un témoin muet, un visiteur sans yeux et sans pensée. »

Cet assoupissement de tout sentiment moral et intellectuel durait depuis plus d’une année, lorsque les lettres de J.-J. Rousseau, sur la botanique, tombèrent dans les mains d’Ampère. Le langage limpide, harmonieux de cet ouvrage, pénétra l’âme du jeune malade et lui redonna quelque nerf, comme les rayons du soleil levant percent les épais brouillards du matin, et portent la vie dans le sein des plantes que le froid de la nuit avait engourdies. À la même époque, un volume, ouvert par hasard, offrit aux regards d’Ampère quelques vers de l’ode d’Horace à Licinius. Ces vers, notre ami ne les comprenait pas, lui qui précédemment avait appris du latin tout juste ce qu’il fal-