Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/493

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blessés à la frontière. Napoléon racontait cette anecdote à ses compagnons d’exil à Sainte-Hélène.

Supposons un moment le fait exact, qu’en pourra-t-on conclure ? Le citoyen voulait évidemment dire qu’aucun sacrifice ne doit coûter quand l’indépendance nationale est menacée, et le père de famille, pour rendre sa pensée en quelque sorte palpable, citait ce qu’il avait de plus précieux au monde.

Puisque les paroles de Monge ont été prises dans leur sens littéral, on peut regretter qu’il les ait prononcées ; mais j’affirme que personne n’osera blâmer le sentiment honorable qui les a inspirées.

J’ajoute maintenant, d’après le témoignage de madame Monge, que son mari n’a probablement jamais tenu le propos qu’on lui a prêté. Notre illustre confrère avait trop de délicatesse dans le cœur et dans l’esprit pour avoir jeté le nom de ses filles dans l’arène des partis.

Lisons les biographies, et nous y verrons que Monge conservait les habitudes révolutionnaires à une époque où tout le monde les répudiait ; on rappelle, par exemple, qu’à l’École normale, en 1794, dans les séances qui portaient le nom de débats, il était le seul professeur qui tutoyât les élèves.

On aurait pu étendre le reproche : ce n’est pas seulement aux écoles normales que Monge commettait l’immense faute qu’on lui impute ; deux mille élèves se rappellent qu’il les tutoyait à l’École polytechnique. De la part de tout autre professeur, cette familiarité eût semblé peut-être extraordinaire ; elle coulait de source, pour