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souvenirs d’un aveugle.

vie solitaire. Je ne puis vous offrir un hamac ; suivez vite ce sentier ; et doublez le pas, car des esclaves pourraient vous arrêter s’ils vous rencontraient loin de la ville.

La nuit me surprit en route ; nuit étoilée, rafraîchissante, harmonieuse surtout par son silence et ses parfums, réveillée à de courts intervalles par les soupirs à demi voilés de quelques oiseaux de nuit, et le bruissement régulier de la vague qui venait expirer sur le bord.

Il était près d’une heure quand j’arrivai au débarcadère, où nulle pirogue ne stationnait. J’allais m’acheminer vers la rue do Ouvidor pour y chercher un asile, quand la voix glapissante d’un esclave arrêta mes pas. Le malheureux portait dans une petite corbeille une vingtaine de gâteaux ; seul et debout à côté de la fontaine élevée en face du Palais-Royal, il poussait vainement son cri, perdu dans le silence. Je m’approchai de lui :

— Que vends-tu là ?

— Des gâteaux. Oh ! je serais bien reconnaissant si vous vouliez m’en acheter quatre.