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souvenirs d’un aveugle.

pas qu’il fallait tirer la ficelle pour prévenir les malheureux que l’aumône était faite. Aussi qu’arriva-t-il ? Un des soldats du poste s’approcha de la bourse, la visita, en retira une partie de mon offrande, et donna le signal convenu. La bourse remonta délestée. Indigné, je voulus défendre les droits du malheur et réclamer pour lui. — Au large ! me dit la sentinelle ; au large ! on ne s’approche pas ainsi deux fois de suite de la prison. — J’avais fait, sans le savoir, la charité à des voleurs.

Près de là, surveillés et accroupis, plusieurs esclaves attendaient que leur tour arrivât. On frappait à coups redoublés de chicote les noirs amarrés les uns après les autres à un poteau : le sang coulait dans un fossé creusé à cet usage. Au surplus, les bourreaux lassés se succédaient comme les victimes. J’étais sans puissance contre ces châtiments ordonnés par des maîtres assez humains pour ne pas les infliger eux-mêmes. Aussi m’éloignai-je bien vite et la douleur dans l’âme.

Dès que la civilisation fait une trouée quelque part, on est toujours sûr de voir couler autour d’elle des larmes et du sang.