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voyage autour du monde.

nœuds qui l’étreignent. On veut applaudir, le Pauliste fait signe que cela n’est pas généreux, et le voilà relevant son adversaire.

— Pardon, colonel, je suis un maladroit, je vous ai enlevé trop violemment ; j’irai plus doucement une autre fois.

— J’ai été surpris, répond le colonel.

— Ça devait être ; nous surprenons tout le monde.

— Eh bien, nous allons voir.

— Voyons.

Ils se sont de nouveau séparés l’un de l’autre de toute la longueur de l’arène ; ils partent d’abord au pas…

— Ah ! ah ! fait le Pauliste, ah ! ah ! par le cou cette fois ! s’écrie-t-il : et son cheval est parti comme une flèche. Le colonel, pour la seconde fois, est jeté à terre, et José est près de lui, pour qu’il ne meurt pas étranglé par le lacet.

— Ça ne va pas, dit le Pauliste, ça ne va pas, colonel ; je n’ai pas encore déjeuné, ma main n’est pas très-sûre ; voulez-vous une troisième épreuve ? Je me fais fort de vous saisir par le bras droit ou la jambe gauche, à votre volonté.

— Non, j’en ai assez, dit le colonel vaincu, déchiré, et couvert de poussière, j’en ai assez ; je croirai désormais à tous les prodiges qu’on raconte de vous.

— Colonel, vous n’avez rien vu ; il y a là une douzaine de mes camarades auprès desquels je ne suis qu’un enfant.

— Ils viendront avec vous déjeuner chez moi.

— Vous ne les connaissez pas, ils sont capables d’accepter ; mais moi je vous demande votre amitié.

— Elle vous est acquise, quoique votre lacet m’ait rudement meurtri.

— Pourtant je n’ai guère serré.

Depuis ce jour, le colonel ne proposa plus de défi aux Paulistes, mais il alla vivre parmi eux, au sein de leurs solitudes, et, méprisant sa lance favorite, il devint en peu de temps un fort habile laceur d’hommes.