Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.1.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

IX

BRÉSIL

Petit et Marchais. — Rixe. — Sauvages, — Mort de Laborde. —
Cap de Bonne-Espérance.

Une chaude conversation s’était engagée à bord du grand canot qui allait descendre à terre. Pas n’est besoin, je crois, de vous nommer les interlocuteurs, vous les devinerez à coup sûr, pour peu que j’aie saisi quelques-uns des traits principaux qui les distinguent.

— Je te dis que tu viendras boire avec moi.

— Je te réponds, foi de gabier, que je n’irai pas.

— Mon garçon, sois sage et raisonnable, si ça se peut, tu y gagneras quelque chose.

— J’y gagnerai bien davantage si je t’accompagne ; je te connais.

— Il paraît que non,

— Oh ! que oui !

— Écoute bien : j’ai besoin de quelqu’un qui me serve d’escorte, qui navigue sous les mêmes amures : si tu laisses porter en arrivant à terre, et que je serre le vent, je lâche ma bordée sur tes flancs et je te coule bas.

— Ça est dur pourtant de ne pouvoir éviter l’abordage avec ce 74, moi pauvre et chétive corvette de 18.

— Je suis bien aise que tu amènes… sans ça… suffit.

— Quelle raclée vais-je recevoir !

Deux officiers et moi descendions à Bota-Fogo, nous venons de nous asseoir sur nos tapis bleus à bordure rouge : les avirons, d’abord verticaux et tenus en main, tombèrent d’aplomb sur la lame, comme un seul battoir, y plongèrent l’extrémité de leurs larges palettes, les bras nerveux