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souvenirs d’un aveugle.

Les cérémonies funèbres se faisaient avec une pompe merveilleuse, et les femmes, ordinairement si cruelles chez ces peuples anthropophages, donnaient alors des marques de la plus vive douleur : elles s’arrachaient les cheveux, se meurtrissaient le sein, se mutilaient les membres, et de tous côtés retentissaient des hurlements frénétiques. « Le voilà mort, s’écriaient-elles, celui qui nous faisait manger tant d’ennemis, le voilà mort ! » et le cadavre, inondé de larmes et pressé dans leurs bras, était déposé dans une fosse, où l’on apportait des offrandes, des fruits, du poisson, du gibier, de la farine de manioc et les armes de quelques chefs vaincus.

Dès qu’une tribu avait reçu une injure, les vieillards convoquaient les guerriers, les excitaient à la vengeance, et leur rappelaient dans de longues harangues les hauts faits de leurs ancêtres. La première rencontre était vraiment terrible. De loin ils commençaient à se menacer par gestes et en brandissant leurs armes. Ils échangeaient les injures les plus sanglantes, et lorsque la rage était portée à son comble, ils se précipitaient les uns sur les autres, se frappaient à grands coups de massue, s’attachaient avec les dents aux membres de leurs ennemis. Souvent un guerrier abattu se traînait expirant sur le cadavre d’un adversaire, le mordait avec voracité, et semblait mourir avec joie dès que sa vengeance était satisfaite.

Dans toutes les rencontres on tâchait de faire un grand nombre de prisonniers, qui étaient conduits au milieu des peuplades, et qui attestaient la gloire des vainqueurs. Là, par un raffinement de cruauté qu’on a de la peine à concevoir, ils étaient nourris avec soin, avaient la faculté de se choisir une épouse, et finissaient cependant par être massacrés pour servir à d’horribles festins. Leurs crânes étaient suspendus dans la demeure de celui qui les avait faits prisonniers, et c’étaient ces archives sanglantes qui disaient aux fils les exploits et la gloire des pères.

Leurs armes étaient des massues et des arcs longs de cinq à six pieds, et leurs instruments de musique, des espèces de flûtes faites avec les os des jambes ou des bras de leurs ennemis. Outre les peintures dont les chefs s’ornaient pour se faire reconnaître, tous les Tupinambas se perçaient la lèvre inférieure, et y introduisaient un morceau de bois façonné avec soin. Les femmes n’étaient pas soumises à cet usage ridicule, et avant leur toilette, c’est-à-dire avant de s’être barbouillé le corps avec des mastics de diverses couleurs, elles avaient assez de grâces pour captiver les étrangers et justifier la tendresse de leurs maris.

Les Mundrucus, qui donnent leur nom à une province, sont les naturels du Brésil les plus redoutés. Les autres tribus les appellent Païkicé, c’est-à-dire coupe-tête, parce que ces indigènes sont dans l’usage barbare de décapiter tous les ennemis qui tombent en leur pouvoir, et d’embaumer ces têtes de manière qu’elles se conservent pendant de longues années comme si on venait depuis peu d’instants de les séparer du tronc. Ils