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souvenirs d’un aveugle.

que les Araras sont les seuls indigènes du Brésil qui empoisonnent ainsi leurs armes.

Les Jummas, les Mauhés, les Pammas, les Parintintins et un grand nombre d’autres peuplades parcourent encore les vastes contrées du Brésil, et se livrent entre eux des combats meurtriers.

Mais de toutes ces peuplades sauvages la plus curieuse à étudier est, sans contredit, celle des Bouticoudos, guerrière, audacieuse, indépendante, anthropophage, et venant libre jusqu’aux portes de la capitale, où par mépris elle refuse d’entrer. De l’air, des dangers et de l’espace, voilà ce que demande, ce que veut, ce que trouve le Bouticoudo.

Les jeux bouticoudos sont des exercices d’adresse. J’ai vu, par un temps de calme, un de ces hommes extraordinaires tracer à terre une circonférence de six pieds de diamètre, se placer au centre, lancer verticalement et à perte de vue une de ses flèches et la faire presque toujours retomber dans le cercle.

Le Bouticoudo est complétement nu. Sa couleur est ocre rouge, ses cheveux sont longs et plats. Comme le Tupinamba, il fait descendre sur ses épaules le cartilage de ses oreilles, il fixe à sa lèvre inférieure, percée, un morceau de bois dur sur lequel il découpe ses mets et qui descend souvent jusqu’au menton.

Le Bouticoudo est, sans contredit, le sauvage le plus brave, le plus intelligent, le plus adroit du monde. Ni le Malais avec son crish empoisonné, ni le Guébéen sur ses caraccores, ni le Zélandais avec son casse-tête en pierre, ni le Carolin avec son bâton si admirablement ciselé, ni même l’Ombayen anthropophage, chez lequel ma vie a couru de si grands dangers, ne peuvent se comparer au Bouticoudo muni de son arc, de ses flèches et de son petit sac de pierres.

Il y a là des forêts profondes, éternelles, des déserts et des plaines immenses, des montagnes escarpées. Ces montagnes, ces forêts, ces déserts, sont la demeure du Bouticoudo, qui y trouve des vivres en abondance et un gîte où il est à l’abri de tous dangers. Passe-t-il à cent pas de lui un de ces quadrupèdes petits et voraces qui se cachent dans les solitudes brésiliennes, l’animal surpris est bientôt la victime du Bouticoudo ; car son arc à deux cordes a été tendu, et la pierre rapide a frappé droit et fort au but marqué. Un jaguar s’élance-t-il en terribles bonds sur une proie facile, malheur à lui si le Bouticoudo a entendu son lugubre rauquement ! car la flèche dentelée va siffler, et après elle, une seconde, puis une troisième, et toutes les trois pénétreront dans les flancs du jaguar.

L’arc du Bouticoudo est haut de sept à huit pieds, et ses flèches en ont quelquefois huit ou neuf. Elles sont légères, non pennées, armées d’une pointe d’os ou de bois durci au feu. L’arc à deux cordes est en bambou comme le premier. À six pouces à peu près du nœud qui fixe la corde au bois, et de chaque côté, un autre morceau de bois de la grosseur du petit