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LE CAP

Chasse au Lion. — Détails.

Des faits encore, puisque leur logique est si éloquente. Les hommes et les époques ne devraient pas avoir d’autre historien : les faits seuls peuvent exactement traduire la physionomie des peuples, et là du moins chacun peut puiser avec sécurité pour éclairer la conscience et la raison ; là est le seul livre qui ne trompe jamais.

Quand les hommes sont venus ici poser les premières bases de leur naissante colonie, ils trouvèrent un sol rude, âpre, habité et défendu par des hordes sauvages. Les armes à feu firent taire bientôt la puissance des sagaies, des arcs et des casse-têtes ; les indigènes se retirèrent dans l’intérieur des terres, et les navires voyageurs, pour renouveler leur eau et leurs vivres, trouvèrent ici un point de relâche à moitié chemin de l’Europe et des Indes orientales. Jusque-là tout était profit pour le commerce et la civilisation ; mais là aussi s’arrêta malheureusement le projet, vaste d’abord et bientôt abandonné, de la conquête morale du sud de l’Afrique. Les piastres d’Espagne et les guinées anglaises enrichirent les colons, qui ne voulurent point porter plus haut leurs idées d’industrie et de progrès ; et les siècles passèrent sur Table-Bay, colonie européenne, sans que les terres qui touchent pour ainsi dire à la ville fussent plus cultivées, sans que les peuplades qui les parcourent fussent moins sauvages et moins féroces. C’eût été pourtant une belle et noble conquête que celle d’un pays où le sang n’eût plus coulé que sous le règne des lois et de la justice. Le commerce est en général très-peu régénérateur.