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voyage autour du monde.

mains à l’instant même. Parle, parle vite, car si tu bouges, si tu fais un geste, tu as deux esclaves de moins.

— Je mets encore une condition à notre marché, dit le capitaine.

— Je l’accepte d’avance.

— C’est que tu resteras, toi aussi, sur le pont, et que tu aideras aux manœuvres, car la plupart de mes matelots sont malades.

— Je te le jure.

— Et tu seras fidèle à ton serment ?

— Sauve mon frère.

— Ton couteau.

— Le voici.

— Je vais te délier.

— Délie mon frère d’abord.

— Vous voilà libres ; attends, je vais le faire porter sur le pont.

— Je le porterai moi-même.

On arrive à l’air, on prépare une natte ; Zambalah y dépose doucement le corps de son frère tant aimé… Ce n’était plus qu’un cadavre.

— N’importe, dit Zambalah d’une voix sombre, je l’ai promis, je l’ai juré : commande, je suis ton esclave.

Cependant le mauvais temps durait toujours, mais à un vent impétueux et contraire avait succédé une houle énorme qui mettait parfois le navire en péril de sombrer. Tout à coup il donne une bande effrayante, et avant qu’il ait pu se relever, une seconde lame moutonneuse déferle sur le pont et enlève trois hommes. Attaché à la barre, Zambalah résista au choc. Il jeta bientôt un rapide coup d’œil autour de lui : le capitaine et deux matelots avaient disparu.

— Je suis son esclave, s’écrie Zambalah, mon devoir est de le sauver…

Il dit, et son regard fouille au milieu des débris que la houle promenait çà et là.

Le capitaine luttait à peine contre le flot, tant la secousse avait été violente ; Zambalah le voit et lui fait signe ; il saisit un filin qu’il passe à son bras, dont il noue un bout au bastingage, puis il se précipite. Bientôt il arrive auprès de son maître, il lui donne le filin, lui dit de prendre courage, s’en retourne à bord, et, aidé de deux matelots, il parvient enfin à hisser le capitaine sur son navire.

— Va, lui dit celui-ci dès qu’il eut repris ses forces, tu es libre maintenant, Zambalah.

— Capitaine, votre parole, une parole comme la mienne.

— Je te la donne.

— C’est dit ; mais vous y perdez beaucoup, car si je n’avais pas été votre esclave il y a une heure, vous seriez maintenant dans les flots…

La parole d’un négrier est chose sainte et sacrée. Le lendemain de