Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.1.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
voyage autour du monde.

fait défaut, le péril auquel il s’expose et la gloire qui l’attend. « Le Grand-Port est pris, se dit-il à l’instant ; la colonie appartient peut-être déjà aux Anglais ; tout le présage… Eh bien ! de par mon pavillon et mes équipages, je saurai bien les reprendre ! »

Les navires ne peuvent ni se rallier ni serrer le vent. Déjà le Ceylan et la Minerve avaient accepté le combat ; il fallait Le soutenir ; aussi le signal de forcer la passe est donné par la Bellone.

Il faut le dire parce que cela est, il faut le dire parce que, chez nous, l’exemple d’une honteuse fuite n’est pas contagieux, mais, aux premières bordées, le Windham ralentit sa marche, et bientôt il prend la fuite. L’enseigne D. rend aux Anglais la prise, qu’il va conduire à la Rivière-Noire. On le remercie d’une part, et de l’autre la coupable indulgence du chef de l’expédition le sauve du châtiment qu’il avait mérité. Cependant la Bellone arrive, parée de sa belle mâture, fière de son valeureux équipage, enorgueillie de son indompté capitaine. La voici recevant avec calme, et même sans répondre tout d’abord, les attaques du fort et de la frégate anglaise, sous la poupe de laquelle elle va s’établir, la criblant sous sa triple charge de fer et de bronze. Après cette manœuvre hardie, elle va prendre mouillage et attendre qu’une lutte plus sanglante soit engagée.

Une joie était acquise à Duperré : il voit les trois couleurs flotter sur tous les points de l’île, et bien sûr alors que le Grand-Port est seul au pouvoir de l’ennemi, il se hâte d’instruire le général Decaen, gouverneur de la colonie, de son arrivée et du combat qui se prépare.

La nuit était venue ; c’était du silence partout, c’était partout une vive impatience des premiers rayons du jour, et la division était en mesure de lutter contre un ennemi dent les forts protégeaient la position avantageuse.

Cependant au Port-Napoléon, aujourd’hui Port-Louis, les habitants se livraient à une joie qui faisait le plus bel éloge de Duperré. On le savait en croisière ; on craignait qu’il n’eût succombé sous le nombre de ceux qui s’acharnaient à sa poursuite ; et à la nouvelle de son entrée dans le Grand-Port, et du salut amiral qu’il avait envoyé à la frégate anglaise, des compagnies de volontaires s’armèrent à la hâte, se mirent en route, et vinrent généreusement s’offrir au capitaine de vaisseau, qui n’attendait pas moins de leur courage et de leur patriotisme.

Le général Decaen, si cher à tant de titres à la colonie devenue anglaise, prend aussi ses mesures ; il ordonne à la division Hamelin, mouillée au Port-Napoléon, et composée des frégates la Vénus, la Mouche et l’Astrée, et de la corvette l’Entreprenante, d’appareiller et de voler au secours de Duperré, qui peut être bientôt cerné par toute la croisière anglaise.

Rien n’égale l’activité du gouverneur, qui n’a besoin d’exciter ni le courage des habitants ni l’énergie des équipages, mais qui leur donne à tous l’exemple du dévouement et de l’abnégation. Il organise d’un seul