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souvenirs d’un aveugle.

mot une compagnie de marins sous les ordres des maîtres et des aspirants, et il leur indique la route qu’ils auront à suivre. De sa bouche, de son cœur s’échappent, énergiques et brûlantes, ces paroles d’enthousiasme qui ont souvent décidé du gain d’une batailles ; et quant à issue de celle qui se prépare, il ne doute point que ce ne soit encore une page de notre histoire maritime : Duperré est là-bas sur son banc de quart, attendant avec impatience les premiers rayons du soleil.

Quand il a tout disposé, quand il a jeté dans l’âme de tous ceux qui l’entourent ce rayon patriotique qui l’anime, il part à son tour, et va savoir si Duperré à besoin de lui. Sur la terre et sur les flots, les Anglais auront en face de rudes joûteurs. Suivons les événements pas à pas, car le drame est partout.

Le capitaine Duperré, aussi brave soldat qu’habile calculateur de toutes les ressources, se pose en ordre de bataille, acculé à un récif qui borde la baie, la tête appuyée à un plateau de corail. La corvette la Victoire était en tête, présentant son côté de tribord à l’ennemi ; la Bellone venait ensuite ; derrière la Bellone était la Minerve ; le Ceylan fermait la ligne ; ainsi, par ce moyen, la division ne pouvait pas être tournée, puisqu’elle s’était assuré la communication avec le rivage.

Le 22, une seconde frégate anglaise vint mouiller à côté de la première, et dès lors on put prévoir que le combat serait sanglant ; aussi l’ennemi fit-il mine d’attaquer. La division française l’attendait ferme à son poste ; mais une frégate en mouvement s’étant échouée, il y eut encore un point de repos qui dura jusqu’au lendemain.

Le lendemain 23, deux nouvelles frégates parurent au large, et piquèrent sur l’île de la Passe. Duperré, au comble de la joie, supposa que c’était la division du général Hamelin qui venait le rejoindre ; mais les signaux échangés entre les ennemis lui firent comprendre tout le danger de sa position. La population entière de File couronnait les hauteurs du Grand-Port. Le capitaine allait combattre en face d’une colonie dont le salut dépendait peut-être de lui seul ; et son équipage, mu comme lui par un noble sentiment de gloire, se retrempait en quelque sorte à l’impatience de Duperré, qui brûlait d’en venir aux mains.

À cinq heures, la division anglaise commence son mouvement d’attaque : ce sont le Syrius, sur laquelle flotte le pavillon de commandement du capitaine Rym ; la Néréide, capitaine Wilhougby ; l’Iphigénie, capitaine Lambert, et la Magicienne, capitaine Cartin ; toutes quatre, fortes et menaçantes, se dirigent l’une sur la Minerve, l’autre sur le Ceylan, et les deux dernières sur la Bellone et la Victoire.

Comme on le voit, la division ennemie avait une force double à peu près de la division française ; mais les Français n’ont jamais reculé devant le nombre, et nos marins avaient cette résolution héroïque qui ne compte pas les ennemis, et qui élève l’âme des braves à la hauteur des plus grandes difficultés.