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voyage autour du monde.

C’est un spectacle assez curieux, je vous assure, que celui d’une ville qu’on cherche encore alors qu’on l’a déjà traversée. Tel est Saint-Paul, dont les maisons irrégulièrement élevées au milieu de belles touffes de verdure, sont absolument voilées par les enclos qui les emprisonnent. Saint-Paul est une cité naissante et pourtant bâtie sur un sol de sable, au pied du Pays-Brûlé. Elle est toute fière de sa position topographique, et semble dire aux navires voyageurs : « Ici seulement vous trouverez un abri contre les tempêtes. »

Cette île a été baptisée bien des fois. Appelée d’abord Mascareinhas, du nom du capitaine portugais qui la découvrit, elle fut désignée plus tard sous celui de La Réunion, et enfin on la dota de celui qu’elle porte aujourd’hui.

Un volcan très-considérable, séparé du reste de l’île par un vaste enclos de rochers, y est sans cesse en travail. Élevé de quinze cents mètres au-dessus du niveau de l’Océan, trois cratères le couronnent. M. Bory de Saint-Vincent imposa le nom du célèbre Dolomieu à celui qu’il trouva brûlant. Ses compagnons de voyage donnèrent le sien à celui qui est séparé du cratère Dolomieu par le mamelon central, véritable cheminée par laquelle les feux souterrains sont en communication avec les feux du ciel. Un tel hommage était dû à l’explorateur qui mit tant d’activité dans ses recherches, qui gravit dans une île très-habitée des escarpements où nul n’avait encore pénétré, qui, franchissant mille précipices, donna une excellente carte du pays, et, s’exposant à la soif, à la faim et aux intempéries d’un ciel tour à tour ardent et glacial, découvrit, après les Commerson et les Du Petit-Thouars, mille productions nouvelles qui avaient échappé aux recherches de ces grands naturalistes.

Toute située qu’elle est entre les tropiques, l’île Bourbon, dont les rives produisent les mêmes trésors végétaux que l’Inde, n’en a pas moins ses points glacés. Outre le volcan, à la cime duquel le mercure descend fréquemment au point de très-forte congélation, il existe des plateaux extrêmement élevés, où se fait sentir un froid rigoureux ; divers sommets, dont entre autres le Piton-des-Neiges, l’une des Salazes, a plus de dix-neuf cents mètres de hauteur.

Tout est volcanique dans ces imposantes masses, évidemment sorties des entrailles du globe, d’où les arrachèrent de puissantes éruptions. Sur ce Piton-des-Neiges, solitaire, dépouillé, battu des tempêtes, triste dominateur d’un horizon sans bornes, on aperçoit souvent des traces de pieds humains, attestant le courage d’esclaves qui viennent chercher la liberté jusque dans les dernières limites de l’atmosphère. Là aussi gisent parfois les os blanchis de quelques malheureux qui, préférant l’indépendance dans le désert à l’esclavage dans une société marâtre, viennent terminer leurs infortunes sur le basalte solitaire.

Une riche végétation couvre l’île qui nous occupe et présente à l’œil