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souvenirs d’un aveugle.

de l’observateur la plus brillante variété. Sur la côte on admire le caféier, le cotonnier, le muscadier, le girofflier et tous les arbres précieux de l’équateur, offrant à l’homme le nécessaire et le superflu. À mesure qu’on s’en éloigne et qu’on s’élève vers l’intérieur, d’autres végétaux se pressent pour ombrager le sol : le palmiste succède au cocotier, le vacoi au bananier ; l’ébénier, divers bois de construction, des fougères, qui rivalisent en hauteur avec les plus grands arbres, forment le fond des forêts. Parvenu à sept cents mètres, le chasseur rencontre la zone des calumets, espèce de bambou du port à la fois le plus élégant et le plus majestueux. Ces calumets élancés, hauts de cinquante à soixante pieds, ressemblent à des flèches de verdure. Sur la longueur du chaume ligneux, mais flexible comme des anneaux, sont des verticilles toujours agités, du milieu desquels le souffle du vent fait parfois sortir des sifflements aigus. La zone des calumets dure jusqu’à neuf cents mètres, c’est-à-dire que son épaisseur est de deux cents ; elle semble servir de limite aux grands bois.

Le seul arbre important qu’on trouve au-dessus est cette immense hétérophylle qui, se jouant des formes, porte, mêlées, des feuilles pareilles à celles du saule et des feuilles aussi découpées que celles des plus élégants acacias.

Ici l’aspect du pays est entièrement changé des buissons seuls y parent les roches anfractueuses ; de rigides graminées, de verdoyantes mousses, quelques humbles bruyères, végètent à leur base.

À travers les forêts imposantes qu’un tel assemblage de productions présente souvent en miniature, saillent d’immenses quartiers de lave antique, bleus, gris, rougeâtres ou couleur de rouille, qui disent à l’homme que son pied repose sur des abîmes, et que cette riche végétation qu’il admire couronne de brûlantes fournaises qui peut-être un jour seront le tombeau de tant de richesses.

On a quitté le domaine de l’homme ; ici se réfugie la chèvre sauvage provenue des chèvres et des boucs que jetèrent anciennement dans l’île les Portugais qui la découvrirent ; et nous pouvons remarquer en passant que ces peuples, ainsi que les Espagnols, ont rarement abordé sur une terre inconnue sans y répandre quelques richesses de leur pays. Heureux si des ministres fanatiques d’une religion tolérante n’avaient point, par de sacriléges persécutions, repoussé du cœur des malheureux sauvages la reconnaissance que quelques bienfaits commençaient à y faire germer.

Le volcan de Bourbon, toujours en éruption, exerce ses ravages dans un espace qu’on appelle Pays-Brûlé. La masse des laves qu’il rejette est extraordinaire ; ses flancs sont couverts de volcans plus petits, qui n’y paraissent que de simples monticules, et ces monticules cependant ne sont pas moins considérables que ce Vésuve qui fait trembler Naples.

L’île Bourbon, d’une forme presque ronde, peut avoir de quinze à dix-sept lieues dans son grand diamètre, allant du nord-ouest au sud-est, et