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voyage autour du monde.

neuf dans le petit, qui traverse l’île du nord-est au sud-ouest. Saint-Paul et les cascades y sont les moins mauvais mouillages. L’homme a vainement tenté de soumettre les éléments afin de s’assurer, par quelque môle, un abri contre l’océan courroucé. Celui-ci a déjà brisé plus d’une fois les jetées solides qu’on a commencé à élever ; et les roches énormes que lui-même a vomies sont jusqu’à présent les seuls édifices capables de résister à la fureur des lames écumeuses.

Et maintenant que je vais dire adieu à la colonie française, car le canon du bord nous appelle pour le départ, je crois qu’il est de mon devoir de compléter, par les études récentes auxquelles je viens de me livrer, les détails que j’ai donnés sur les diverses castes d’esclaves et de noirs répandus à Bourbon et à l’Île-de-France.

Le créole noir, moins grand en général que le blanc, est assez bien pris dans sa taille, leste, adroit et vigoureux ; il a les traits agréables, l’œil vif et intelligent, et le caractère doux ; il aime les femmes avec passion ; il ne se livre pas à la boisson autant que les autres nègres et est beaucoup plus recherché dans sa toilette : il est très-apte aux arts mécaniques, et ses qualités morales le font préférer à tous les esclaves des autres nations.

Les noirs et négresses de Guinée ou Yoloffs sont d’une taille haute et svelte ; leur œil est grand et doux, leur figure agréable, leur air ouvert, leur peau fine et d’un noir d’ébène ; ils ont de belles dents, la bouche grande, les jambes un peu minces et le pied très-fort ; ils ont plus de noblesse dans leur maintien et dans leur démarche que les autres noirs (quelques Malgaches exceptés) : ils dansent aussi avec plus de grâce et d’expression que les autres esclaves de la colonie, et les femmes surtout sont passionnées pour la chéga.

Les Malgaches ne sont pas aussi grands que les Yoloffs, mais sont mieux faits qu’eux ; leur peau est d’une nuance moins foncée, leurs traits sont agréables, et leurs yeux doux et intelligents ; ils sont fort agiles et très-adroits. Ils se divisent en plusieurs castes, dont la couleur, la taille, les formes, les cheveux et le caractère varient singulièrement.

On ne croit pas plus aujourd’hui aux nains de Madagascar qu’aux géants de la côte des Patagons. Plusieurs voyageurs en avaient parlé sur quelques légers propos dont il ne s’étaient pas donné la peine de vérifier l’exactitude. Les deux individus introduits il y a quelques mois à l’Île-de-France comme appartenant à cette espèce ne sont que le produit de ces jeux de la nature dont on trouve des exemples dans toutes les parties du monde.

Les Oras sont, de toutes les esclaves, les plus belles, les plus douces, les plus attachées à leurs maîtres, et Bourbon redit encore une aventure récente qui a causé une vive sensation dans toute l’île.

Deux jeunes filles de cette caste, à peu près du même âge et fort jolies, ressentirent en même temps une violente passion pour leur maître.