Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.1.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
188
souvenirs d’un aveugle.

niche, un trou ; plus ils sont serrés, plus ils se croient libres, et cette forte odeur dont vous accusez notre insouciance, c’est celle qui s’exhale de leur corps. Ils la concentrent dans ces sortes de cages, ils se blottissent là comme dans les huttes des pays d’où on les a tirés ; et qui sait si dans leurs rêves de chaque nuit ils ne retrouvent pas leurs steppes, leurs déserts et leur liberté !

— Ne le leur avez-vous donc jamais demandé ?

— Non, non. Nous ne leur parlons que de farine de manioc, parce que nous ne les nourrissons que de cela, et nous leur disons quelques mots du fouet, parce qu’ils ne travaillent que dans la crainte des châtiments. Ce qu’il nous faudrait, à nous, planteurs, c’est qu’ils n’eussent pas une seule idée dans la tête. Tenez, en voici un qui passe près de nous en nous saluant avec une sorte de fierté que n’ont pas ses camarades. Eh bien ! c’est le plus dangereux coquin de mon habitation ; il improvise des chansons d’indépendance, il s’est déjà sauvé quatre fois, et je suis sûr qu’il médite une fuite prochaine.

— Avez-vous tenté de le soumettre par la douceur ?

— Dieu m’en garde ! je lui parle toujours le fouet à la main, afin qu’il ne me réponde pas avec le couteau. Si je faiblissais, il deviendrait redoutable.

— En ce cas, il faudrait mieux l’affranchir.

— C’est ce que j’eusse fait si j’avais pu le renvoyer à Angole, sa patrie.