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souvenirs d’un aveugle.

telot qui saupoudrent si bien à la dérobée l’officier dont ils croient avoir à se plaindre, et leur adressait de la façon la plus originale des questions amicales, comme s’il pouvait se faire comprendre.

— Eh ! dis, dis donc, gabier, aborde, je veux t’embrasser.

Il disait ensuite à la femme :

— Viens donc que je te caresse les bossoirs. F… à l’eau ton sapajou de mousse et fais-en un requin ; ce sera le plus laid de la grande tasse.

Puis se retournant vers moi et regardant mes croquis, le matelot goguenard, habitué à railler, même en présence de la mort, me disait :

— Vous ne savez donc plus dessiner, monsieur ? vous avez la berlue : vous flattez ces gaillards ; ils n’ont pas de jambes, ils n’ont pas de bras, et vous leur en faites. Quant aux pieds et aux mains, où les placerez-vous ? Votre papier ne sera pas assez grand. Jamais blanchisseuse de premier ordre n’a possédé des battoirs de cette qualité ; c’est superfin. Et pourtant ça vit, ça remue, ça parle. Dieu a dû bien rire le jour où il a créé ces êtres fort peu à son image. Croyez-vous, monsieur Arago, que