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souvenirs d’un aveugle.

ou d’ivoire fort long et d’une forme très-originale, et souvent même par un anneau d’argent ou d’or, à la mode des Malais.

Elles sont silencieuses, observatrices, craintives et défiantes, ou plutôt elles ne vous regardent que du coin de l’œil et ne vous sourient que du bout des lèvres. Continuellement cloitrées au fond de leur appartement, elles profitent avec un empressement presque flatteur pour les étrangers de l’absence de leurs jaloux surveillants pour satisfaire la curiosité qui les tourmente, et j’ai fréquemment vu à Koupang la jeune et jolie femme d’un orfèvre, dont l’œil vigilant d’une demi-douzaine de duègnes andalouses n’aurait pu empêcher les furtives excursions. Je me hâte d’ajouter qu’elles sont fort sages, et que le supplice horrible qui frappe la femme adultère n’est peut-être pour rien dans la sévère régularité de ces mœurs. Prenez, je vous prie, ma réflexion au sérieux.

Comme dans tous les pays où se sont établis ces riches mendiants, les Chinois de Koupang ont imposé des lois à leurs maîtres, et ils se sont donné un chef de leur nation pour les faire respecter.

Le commerce de Timor consiste en bois de sandal et en cire. Deux petits navires de trois cents tonneaux suffisent pour l’exportation de ces deux denrées, et l’on assure que depuis quelque temps les armateurs préfèrent aller jusqu’aux îles Sandwich, où le bois est d’une qualité supérieure et se vend beaucoup moins cher.

Les animaux sauvages de l’île sont les cerfs, les buffles, les sangliers et les singes ; les animaux domestiques sont les chevaux, les chèvres, les chiens, les porcs, et surtout les coqs et les poules. Pour quelques épingles on peut acheter une belle volaille ; un buffle coûte quatre piastres ; pour un mauvais couteau, on se procure un petit cochon. En général, il est rare qu’un échange ne soit pas accepté lorsqu’on offre un objet de curiosité venu d’Europe. Dans toutes les campagnes, vous pourrez vous procurer des cocos, des mangues, des pamplemousses et une infinité d’autres fruits délicieux, si vous présentez quelques petits clous, des boutons ou une aiguille. Ces bagatelles sont la monnaie des voyageurs.

Il y a trois cents Chinois à Timor ; parmi eux on compte un honnête homme, et encore est-ce, dit-on, une exagération de voyageur. Ils ont conservé ici leur costume national, et ils vivent avec autant de frugalité qu’à Macao ou à Canton, c’est-à-dire qu’une tasse de thé, une poignée de riz et quelques petites pipes d’un tabac fort doux suffisent pour leur consommation quotidienne. À l’aide de deux baguettes d’ivoire qu’ils agitent avec une extrême vélocité, ils saisissent dans leur assiette les miettes les plus menues. On dirait des jongleurs à côté de leur table d’escamotage.

Nul peuple sur la terre n’a un caractère de physionomie plus particulier, plus uniforme. Rien ne ressemble plus à un Chinois de Canton qu’un Chinois de Pékin ; rien ne ressemble plus à un Chinois de Koupang