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voyage autour du monde.

qu’un Chinois de paravent. Si vous avez vu un véritable paravent de Nankin, vous connaissez la Chine… à peu de chose près.

Ils ont la figure douce, ronde, les yeux petits, baissés vers le point lacrymal, le nez épaté, les lèvres grosses, la bouche très-peu allongée ; ils se rasent la tête et ne gardent qu’une mèche qui du sinciput descend en queue sur le dos ; leurs ongles ont quelquefois un pouce de longueur, et c’est chez eux de la coquetterie et du luxe que de les conserver propres et bien taillés. Ils sont fort délicats, ne marchent presque jamais. Un Européen d’une force moyenne ne devrait pas craindre de se mesurer avec cinq ou six de leurs plus vigoureux athlètes. Leur physionomie est au niveau de leur caractère : la dégradation est complète chez eux.

Ils font deux repas par jour, jamais avec leurs femmes. Lâches par naturel et par calcul, ils se sont déclarés neutres dans toutes les guerres que les Malais pourraient entreprendre.

Les droits qu’ils paient pour l’exportation de certaines denrées sont de beaucoup moindres que ceux imposés à l’Angleterre et au Portugal. N’est-ce pas là une honte pour des gouvernements libres et forts ?

Dois-je rapporter la stupide anecdote que le plus lettré des Chinois de Koupang m’a racontée une nuit que je le trouvai plein de dévotion, sortant de son temple ? Au maître-autel de cette espèce de chapelle est une petite figurine de jeune fille richement parée de vêtements bariolés de dragons et de poissons ailés. Ce devait être sans doute la divinité du lieu, puisque les fidèles (je n’ose dire les croyants) déposaient autour d’elle et sur des gradins un grand nombre de plats et d’assiettes de porcelaine dans lesquels gisaient morts et percés d’allumettes terminées par un petit drapeau, des pigeons, des poules, des coqs, des cochons de lait, dévotes offrandes faites à celle à qui le temple est dédié.

— Vous n’adorez donc pas le feu ? dis-je à mon Chinois.

— Nous adorons le feu, me répondit-il ; mais nous vénérons aussi cette image sacrée.

— Quelle est cette image au pied de laquelle, à l’aide de ce magnifique tam-tam suspendu à l’entrée du temple, vous appelez vos compatriotes ?

— C’est notre protectrice.

— Pouvez-vous m’en dire l’histoire ?

— Elle est courte, la voici.

— Il était une fois un vieux père de famille qui avait une fille et deux garçons. Pour les nourrir il allait souvent à la chasse et à la pêche. Un jour, dans une barque avec ses deux fils chargés d’une grande quantité de poissons, un orage épouvantable se déchaîna sur eux, et le bateau qui les portait chavira. Tous les trois périrent dans cette affaire ; et la jeune fille qui, chez sa mère absente, préparait le dîner, tomba sur le plancher en apprenant cette triste nouvelle, et ne recouvra ses sens que sous les coups de sa mère irritée.