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voyage autour du monde.

Je vous ai parlé du peuple malais ; ses souverains après lui ont des droits à mon attention, et, même envers les monarques, je me pique de courtoisie.

Les rois de ces pays se disent insolemment les descendants des dieux et gouvernent en véritables despotes. Ils ont droit de vie et de mort. Dans un moment d’humeur querelleuse ou sur un simple caprice, ils font trancher la tête à qui leur déplaît, et le plus souvent ils la tranchent eux-mêmes sans autre forme de procès, sans que personne ose y trouver à redire. C’est un jeu pourtant qui pourrait avoir un jour de graves conséquences, surtout si le vent civilisateur d’Europe arrive plus pur jusqu’en ces climats.

Il est cependant à remarquer que, parmi ces princes si farouches, si cruels, si sanguinaires, on en trouve parfois quelques-uns qui donnent des exemples de désintéressement et de dignité que l’on comprendrait à peine chez nous. Bao, par exemple, roi de Rottie, étant dans sa jeunesse d’un caractère violent et emporté, abdiqua volontairement la souveraineté en faveur de son frère, dans la crainte que de semblables penchants ne lui fissent commettre de grandes injustices. Mais voyez où le fanatisme et la stupidité peuvent entraîner la puissance :

Un jour que, dans un accès de violente colère, Bao venait de décapiter un de ses sujets, furieux et désespéré après l’exécution, il coupa à l’instant même la tête à deux de ses principaux et de ses plus chers officiers, « en expiation, dit-il, du crime atroce qu’il venait de commettre. » Bao, n’ayant pas été heureux dans le choix de son successeur, qui faisait trembler ses sujets sous son sceptre de fer, le gouverneur de Timor rétablit Bao, et depuis ce jour ce prince est parvenu à maîtriser les premiers penchants de son âme.

Appelé à Koupang pour fournir aux Hollandais son contingent de soldats dans la guerre qu’ils avaient à soutenir contre Louis, monarque révolté, il s’est vu forcé, pour cause de maladie, de confier le commandement de ses troupes à ses premiers officiers et d’attendre, inactif, le résultat de la lutte. On nous en avait fait de si pompeux éloges que nous résolûmes de lui rendre nos hommages, espérant bien que nous recueillerions auprès de lui une foule de détails précieux sur les mœurs et les institutions des peuples soumis aux rajahs ses frères, comme on dit ici, ou aux rois ses cousins, comme on dirait en Europe.

Les visites aux princes se font ici sans cérémonie, sans introducteur, sans suisses, ni valets, ni maréchaux aux portes ; on va chez eux comme chez un voisin ; on cause, on se serre la main, on s’assied côte à côte et l’on se dit adieu. J’étais en veste de toile blanche et en chemise de matelot ; le roi Bao pouvait bien se mettre à l’aise, et je ne lui en voulus pas de son négligé tout à fait sans façon.

Évalé-Tetti, roi de Dao, était avec le roi de Rottie. Ce dernier avait