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souvenirs d’un aveugle.

pour sceptre une canne de jonc à pomme d’or. Il est âgé de cinquante ans : il est grand, bien fait et paraît jouir d’une vigoureuse santé. Ses traits respirent la bonté : son œil est doux, sa bouche petite et riante. Il est vêtu d’une espèce de manteau dans le genre de nos rideaux d’indienne à grandes fleurs en couleur. Sa ceinture est un cahen-slimout absolument conforme à celui de ses sujets ; il avait les pieds et les jambes nus.

Le roi Évalé-Tetti est âgé d’une soixantaine d’années ; il est escorté de quelques guerriers et d’un de ses grands-officiers qu’on nous a dit être son premier ministre ; ceux-ci ont l’air de deux sapajous et sont mis comme deux mendiants.

Les prêtres des Malais sont les devins ou augures. À Rottie et à Timor, dans chaque ville, on en compte quatre dont le chef est le plus âgé. Ces prêtres lisent l’avenir dans les entrailles des victimes, et les poulets sont les animaux dont on se sert le plus fréquemment. Outre qu’ils coûtent moins que les porcs, les buffles ou les canards, qu’on interroge aussi quelquefois, ces prêtres sont plus exercés à lire dans ces sortes de vocabulaire et paraissent plus certains de ce qu’ils annoncent. On consulte les devins dans toutes les affaires importantes, lorsqu’il s’agit, par exemple, d’une déclaration de guerre, de fixer le jour d’une bataille, d’en connaître l’issue ; ils désignent assez souvent le nombre d’ennemis qui seront tués et celui des prisonniers qu’on fera, et à l’exemple des augures grecs et romains, ils enveloppent toujours leurs prédictions dans une phrase à double sens. Les devins peuvent se marier et leurs fonctions sont héréditaires. Ainsi, à la naissance d’un de leurs enfants, il n’y a pas de témérité à avancer que ce sera un jour un fripon.

Lorsque le grand-prêtre monte à cheval, l’usage des selles est défendu à tous ceux qui l’accompagnent. Ce cas excepté, l’interdiction des selles n’existe jamais, quoi qu’en disent certains voyageurs, et leur religion ne leur prescrit rien à cet égard. Mais rarement les Malais en font usage, et ils ne montent leurs chevaux qu’à poil et sans étrier, en les guidant par leurs cris ou à l’aide d’un petit frein.

Il existe dans chaque ville une maison sacrée, nommée Rouma-Pamali. C’est à la fois la demeure du devin et le lieu où l’on dépose le trésor royal.

L’entrée en est interdite à toute monde, à l’exception du rajah ; c’est là qu’on apporte les têtes des prisonniers faits à la guerre, après en avoir retiré la cervelle, On les suspend ensuite à des arbres, mais de préférence auprès des tombeaux des rajahs vainqueurs. Digne trophée de ces peuples barbares, les têtes des ennemis morts au champ de bataille sont exposées pendant neuf jours dans le Rouma-Pamali, et pendant ce temps seulement le peuple a le droit de pénétrer dans cette demeure où se commettent tant de sacrilèges. Lorsque le rajah meurt, il est porté au Rouma-Pamali où il est exposé pendant quelques jours à la vénération du peuple.