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souvenirs d’un aveugle.

et indépendant. Voilà dix ans qu’il parcourt Timor à la tête de sa redoutable armée, assujettissant les rois ses voisins, qui viennent tous à l’envi implorer le secours du résident.

Chef d’une poignée de soldats dévoués à ses intérêts, Louis d’Amanoébang paraît ne pas redouter les efforts de tant d’ennemis coalisés. Déjà il a su les forcer une fois à lui proposer une paix glorieuse, pendant laquelle sa protection et ses encouragements ont appelé dans ses États un grand nombre de personnes distinguées et d’ouvriers habiles qui, avec le goût des arts, y ont fait naître le commerce et l’industrie.

Déjà encore ses armes victorieuses l’ont conduit, il y a sept années, aux portes de Koupang, où il répandit la terreur après avoir brûlé quelques édifices et la maison même du gouverneur. Aujourd’hui qu’on a voulu lui imposer un joug honteux, il s’est de nouveau déclaré indépendant, et, à la tête d’une armée de six mille hommes, dont les deux tiers sont armés de fusils et montés sur des chevaux, il ose se flatter d’un succès qui peut affranchir cette colonie d’un pouvoir despotique et détrôner quatorze souverains.

Les armes de ses soldats sont des fusils, des massues, des sabres, des sagaies, des cries, une audace étonnante et le génie de leur chef.

Louis est adroit ; il a déjà tenté heureusement de semer la désunion dans l’armée ennemie. Louis est affranchi de préjugés ; il combattrait à l’ombre si les flèches de ses adversaires obscurcissaient le soleil. Louis est encouragé par ses premiers triomphes ; il a déjà forcé les Hollandais à bâtir un fort à Dao, qu’il a jadis saccagé. Louis est prudent ; il a fait construire dans ses États des fortifications qui étonneront les Hollandais et plus encore leurs alliés. Louis, en un mot, combat pour l’indépendance ; quatorze rajahs combattent pour l’esclavage. Les soldats de Louis mourront auprès de leur chef : il est à craindre que les insulaires réunis sous le pavillon européen ne l’abandonnent avant de combattre ou après le premier échec. Les guerriers de Louis lui sont attachés par la reconnaissance ; la crainte seule a rallié les autres insulaires sous la domination hollandaise. Que de motifs pour supposer que ce chef intrépide sortira vainqueur d’une lutte imposée par l’orgueil offensé et acceptée par le patriotisme et le sentiment d’une cause légitime !

Tous les rois appelés par les Hollandais à soutenir cette guerre sont tenus de se mettre à la tête de leurs soldats, ou du moins de suivre le corps d’armée jusqu’au quartier-général. Le roi de Denka a conduit mille hommes ; mais une maladie l’ayant empêché de les guider au combat, il a obtenu la permission de retourner à Koupang, après avoir juré que ses sujets seraient fidèles à la cause qu’ils avaient embrassée. Cependant, comme, d’après un ancien préjugé, les Malais assurent que les maladies arrivent par l’ordre des dieux, ils croient que, lorsque leur chef est retenu loin du camp par un pareil motif, ils doivent s’abstenir de