Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.1.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
229
voyage autour du monde.

combattre, et ce préjugé, si utile aux intérêts de Louis, a causé une grande désertion parmi les soldats venus de Denka. Encore un semblable événement, et Louis n’éprouvera qu’un regret, celui d’avoir trop peu d’ennemis à soumettre.

Les Anglais ont fait deux expéditions contre le roi Louis, la première en 1815 et la deuxième en 1816, sans pouvoir le vaincre. Il est grand, vif, impétueux ; son courage étonnant, mais réfléchi ; ses projets sont hardis, mais non impossibles ; il récompense dignement le mérite et il punit cruellement toute désobéissance. Il ne manque peut-être à la gloire de cet homme extraordinaire qu’un historien qui dise ses exploits.

Rival redoutable, révéré des Timoriens, l’empereur Pierre, mort aujourd’hui à toute idée d’ambition, ne s’est point agité au choc des crics qui retentissent autour de ses domaines ; et sur son lit de douleur, il attend paisiblement sa dernière heure.

C’était un nouveau monarque à visiter. Nous nous décidâmes promptement et nous nous mîmes gaiement en route. La petite caravane se composait de Bérard, Gaudichaud, Gaymard, Duperrey, Taunay et moi, tous avides d’apprendre, tous amis dévoués, presque toujours compagnons inséparables dans les excursions les plus périlleuses.

La route, après avoir dépassé Koupang, est un sentier délicieux ombragé par une riche végétation, et bordé d’un côté par le lit d’un torrent qu’on passe souvent à gué. Après une heure de marche, peu à peu on s’élève et l’on gravit une petite colline au sommet de laquelle est le tombeau de Taybeno, ancien rajah de cette partie de l’île. Un arbre mort le dominait, et sur deux branches de cet arbre sont deux crânes de Malais, encore revêtus de leur belle chevelure. À la bonne heure, de pareils hommages rendus aux morts ! Nous demandâmes à deux naturels qui nous accompagnaient depuis quelques instants la permission de les détacher de l’arbre : Pamali, nous répondirent-ils d’un air effrayé, et nous poursuivîmes notre route après avoir dessiné le tombeau, qui n’offre rien de remarquable.

Cependant nous arrivâmes bientôt sur le territoire de l’empereur. Des troupeaux de buffles, une végétation vigoureuse et quelques terres labourées nous donnèrent d’abord du souverain une idée avantageuse qui s’accrut encore lorsque nous arrivâmes auprès de sa demeure. Nous y fûmes introduits.

Son palais est une case en vacoi, goëmon, arêtes de palmistes, le tout lié fortement et recouvert de feuilles de latanier à plusieurs couches. Il se compose d’une seule pièce noire, profonde, ne recevant le jour que de la porte, qui est basse et très-étroite. Là point de meubles, si ce n’est un coffre chinois orné de riches incrustations, dans lequel sont probablement enfermés les trésors du monarque ; plus un vaste fauteuil en bois d’ébène, bien travaillé, que je soupçonnai de fabrique japonaise. Çà et là, à terre,