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souvenirs d’un aveugle.

rapides du glaive acéré qui feint de trancher une tête, et cette avidité du vainqueur à boire le sang dans le crâne, à mâcher les membres du mort, exprimés par une pantomime infernale, quelle plume pourra jamais les rendre ? quel pinceau pourra jamais en rappeler le hideux caractère ? C’est là, je vous jure, un de ces lugubres épisodes sur lesquels passent les années sans en affaiblir le moindre détail ; et jusqu’à présent nous seuls avons pu donner des documents exacts et précis sur ce peuple ombayen, contre lequel la civilisation devrait armer quelques vaisseaux, afin d’en effacer tout vestige. On ne voit jamais bien lorsqu’on ne voit qu’avec les yeux, et tant de choses échappent à celui qui est sans émotion en présence des tableaux sombres ou riants qui se déroulent devant lui ! Pour bien voir, il faut sentir.

Petit, placé à mon côté, ne riait plus, ne mâchait plus son tabac ; mais il lançait toujours ses quolibets, et, stupéfait, il me dit à voix basse :

— Quels gabiers que ces gaillards ! Vial, Lévêque et Barthe plieraient bagage devant eux. Où diable ont-ils donc appris à se taper et à faire le moulinet ? Ce doivent être les bâtonistes de l’endroit. Je parie que d’un seul coup de leur briquet ils couperaient un homme en quatre… Vous