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voyage autour du monde.

avez été bien inspiré de leur faire des tours d’escamotage ; sans ça nous étions frits comme des goujons.

Quant aux insulaires, ils se sentaient fiers de notre surprise ou plutôt de nos terreurs, et en ce moment, je crois qu’ils auraient eu vraiment trop beau jeu à nous chercher noise, ce qu’ils se proposèrent pour le lendemain.

Le sol sur lequel s’exécuta ce terrible combat était bordé de fosses assez profondes et de plusieurs monticules recouverts de galets symétriquement posés et protégés encore par une double couche de feuilles de palmier. C’était le cimetière de Bitoka, et j’avais remarqué que les naturels s’étaient souvent détournés pour ne pas fouler aux pieds cette demeure des morts ; nous avions suivi leur exemple, et ils s’étaient montrés sensibles à cet hommage de pieuse vénération. Que de contrastes dans le cœur humain !

Jamais hommes ne furent mieux taillés pour les guerres, même parmi les nations féroces qui ne vivent que de rapine et de meurtre : car ils ont l’agilité de la panthère, la souplesse du reptile, l’astuce de l’hyène et un courage à l’épreuve des tortures. Les Ombayens sont de la race des Malais, mais on dirait une race pure et privilégiée, une nature primitive, une émigration d’hommes puissants et forts qui doivent peut-être aussi cette supériorité si tranchée au caractère du sol abrupte où ils sont venus s’établir en maîtres.

Ils ont le front développé, les yeux vifs, pénétrants ; le nez un peu aplati, quoique plusieurs l’aient aquilin ; le teint ocre rouge, les lèvres grosses, la bouche grande, accentuée, et dans aucun je n’ai trouvé la détestable habitude du bétel et de la chaux, si fort en usage chez leurs voisins. Leur abdomen a le volume voulu, sans être prononcé comme celui de presque tous les insulaires de ces contrées, et la vigueur de leurs bras se dessine par des muscles en saillie admirablement articulés.

Tous les naturels d’Ombay, même les enfants de cinq à six ans, étaient armes d’arcs et de flèches ; la plus grande partie portaient le terrible cric, dont la poignée et le fourreau étaient parés de touffes de cheveux. Les arcs sont en bambou ; la corde est un intestin de quadrupède. Nous avions peine à tendre à moitié ces ares dont les bambins de huit ans se servaient avec une extrême facilité ; et ce n’est pas chez les plus jeunes individus du village que nous trouvâmes moins d’hostilité c’était à qui d’entre eux se montrerait plus imprudent dans ses demandes et plus irrité de nos refus. Il n’y a pas encore à espérer que la race des Ombayens s’améliore.

Les flèches sont en roseau de la grosseur de l’index, sans pennes, armées d’os ou de fer dentelé ; l’œil ne peut pas les suivre jusqu’au bout de leur course, et un cuir de deux pouces d’épaisseur ne serait pas une assez solide cuirasse contre leur atteinte. Le bouclier sous lequel le guerrier