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voyage autour du monde.

ticulier, et, en vérité, je ne sais pourquoi, puisque les naturels ne veulent que la moitié des bienfaits que je leur offre. Certes, je fais tout le bien que je peux ; mais, comme on n’a à Diély que des notions imparfaites sur le bien ou le mal tels qu’on les comprend en Europe, vous concevez que leur haine naît parfois d’un bienfait et leur amitié d’une proscription. Allez, c’est une rude tâche que de commander à ces hommes de fer qui m’entourent. Je suis venu à Diély frappé par un jugement inique ; ma seule vengeance sera la paix d’une colonie que tous mes prédécesseurs ont vainement cherché à obtenir. Quant à mon successeur, quelque belle que je lui aie fait la route, l’avenir nous dira ce que deviendra Diély après mon départ ou à ma mort.

La ville est située sur une petite plaine riante, au pied de hautes montagnes boisées, séjour continuel des orages. Sa rade n’est point aussi vaste ni aussi sure que celle de Koupang, mais l’île Cambi d’un côté et le cap Lif de l’autre la garantissent assez bien des vents les plus constants. Une jetée naturelle et presque à fleur d’eau s’avance à plus d’un quart de lieue au large, et il me semble qu’à très-peu de frais on pourrait y construire un môle auquel les navires auraient la facilité de s’amarrer. Du reste, la mer n’y est jamais bien haute, le fond en est bon, et le mouillage sûr et agréable.

Excepté le palais du gouverneur et une église dédiée à saint Antoine, on chercherait en vain un édifice à Diély. Toutes les maisons, basses et bâties en arêtes de latanier, à cause des fréquents tremblements de terre, sont entourées d’enclos, de sorte qu’on ne peut les apercevoir que lorsqu’on est vis-à-vis de la porte d’entrée. Sous ce rapport, Diély est encore inférieur à Koupang, où du moins le quartier chinois offre l’aspect d’un pays à demi civilisé.

La ville est défendue par deux petits forts assez réguliers et une palissade à hauteur d’homme où sont placées, de distance en distance et à côté des corps-de-garde, de jolies chapelles fort bien ornées. Mais la plus grande force de la colonie est dans l’amour des sujets pour le gouverneur.

Il existe presque au sortir de la ville divers sentiers qu’on ne peut parcourir sans s’exposer de la part des naturels au danger d’être massacré, et rien cependant n’annonce que ces sentiers soient pamali (sacrés).

Un jour que, dans une de mes promenades du matin, j’allais franchir un de ces chemins révérés où l’ombre descend fraiche du haut des larges rimas, je vis mon guide effrayé accourir et me supplier avec des larmes de ne pas aller plus loin, si je ne voulais à l’instant même avoir la tête tranchée. Je m’amusai un peu de ses frayeurs et de ses menaces, et comme je me disposais à continuer ma route en lui ordonnant de me suivre, le Malais se jeta à mes genoux et implora ma pitié. Je me laissai attendrir, je pris un autre chemin, et le pauvre homme me témoigna sa reconnais-