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voyage autour du monde.

çante. Je tentai plusieurs chemins pour arriver jusqu’au cratère, et je fus toujours arrêté aux quatre cinquièmes de la hauteur par des couches immenses de cendres fines dans lesquelles je plongeais parfois jusqu’aux genoux, et qui me faisaient sentir une chaleur insupportable. Sont-ce les fournaises intérieures qui pénètrent jusqu’à la surface du sol ? Est-ce le feu d’un soleil tropical qui pèse sur ces cendres, les réchauffe et leur fait garder cette haute température ? Que les géologues décident la question et aillent étudier ce magnifique volcan, bien plus curieux que le Vésuve et l’Etna.

Au pied de cette masse imposante de laves sans végétation jaillissent, vives et riches, une douzaine de sources chaudes, sulfureuses et fort appréciées dans le pays, se réunissant à une centaine de pas dans un même canal creusé par la main des hommes. Sur les bords, je vis quelques lépreux, vieux, à demi rongés, qui trempaient leurs jambes dans le courant. L’on m’assura plus tard, à Diély, qu’à une certaine époque de l’année, et surtout après de violentes secousses de tremblement de terre, on voyait auprès de ces ruisseaux, changeant de cours selon les caprices du volcan, des populations entières venir demander à ces eaux bienfaisantes quelque adoucissement aux cruelles maladies héréditaires dont gémissent tant de naturels. Pas un de ces êtres souffreteux qui attendaient là sous leur cahen-slimout une vie bien près de leur échapper, ne tourna la tête pour me voir passer, et j’en accuse plus la douleur que le mépris. Si, comme le prétendent les habitants, l’efficacité de ces eaux est incontestable, si elles sont réellement pour eux un remède universel contre la goutte, la dyssenterie, les maladies de la peau, les insomnies, enfin contre tous les maux qui les poursuivent, pourquoi donc, dans mes courses d’explorateur, rencontré-je à chaque pas des malheureux couverts de lèpres ou de gale ? Si quelques-uns guérissent, est-ce le remède ou la foi qui les sauve ?

De retour de cette promenade, qui avait cependant épuisé mes forces d’Européen, je m’arrêtai, pour boire du lait de coco, dans une case isolée où je ne vis que deux jeunes filles à l’air vif, à l’œil téméraire, qui ne furent nullement effrayées de ma visite inattendue. Je leur fis comprendre que je voulais boire, ou plutôt je prononçai le mot klapas (coco) en leur montrant en échange un petit miroir. L’une d’elles me fit signe d’attendre et que j’allais être satisfait. Aussitôt elle se dépouilla du seul vêtement qui la gênait, escalada un cocotier voisin avec la rapidité d’un chat ou d’un écureuil.

Après m’être un peu reposé, je pris congé de mes deux Malaises, surprises que je ne leur demandasse pas d’autres preuves de leur désir de m’être agréables. Je payai donc leur obligeance par un nouveau cadeau, et je donnai à ces deux jolies enfants, qui ne mâchaient ni tabac ni bétel, et qui avaient des dents éblouissantes, une haute idée de mon opulence et de ma générosité. J’avais dépensé dix sous à peu près.

Et maintenant que je vous ai fait promener avec moi dans cette ville