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voyage autour du monde.

vertes, une grande partie des archipels du grand Océan Pacifique visitée par tous les navires explorateurs ; les Moluques eurent leur tour. L’Europe se rua sur les richesses immenses qu’on supposait enfouies sur les monts sauvages que les flots battaient dans leur rage impuissante ; les vastes forêts dans lesquelles se cachaient les farouches Malais furent fouillées. Là chaque arbre avait sa valeur ; là chaque arbuste portait son trésor : la canelle, l’indigo, le girofle, la muscade, pesaient sur le sol ; on estimait le terrain non par toises, mais par pieds, et chaque sillon devenait l’objet d’une querelle ou d’un combat.

Dès que les Malais se furent aperçus que ce n’était pas à eux que l’Europe déclarait la guerre, ils sortirent de leurs profondes retraites et se mêlèrent aux équipages. Mais leur férocité ne put être vaincue par l’aspect des nouvelles merveilles qui devaient les frapper.

Le sang des Portugais et des Hollandais coula par le meurtre. Des assassinats nocturnes furent organisés, et dès lors la nécessité d’une première défense se fit puissamment sentir. On bâtit des forts : le canon joua le principal rôle dans ces conquêtes, et la mitraille obtint quelque trêve.

Cependant les maladies du climat tombèrent sur les navires à l’ancre : chaque équipage fut décimé ; les cadavres flottèrent sur les vagues, et la dysenterie et le scorbut vinrent en aide au cric des Malais. Les désastres furent si grands, que bien des navires se virent jetés à la côte, faute de bras pour les manœuvres, et qu’on délibéra en Europe si l’on continuerait des explorations achetées par tant de sacrifices.

Ce que la raison aurait dû tout d’abord commander fut précisément la dernière mesure qu’on adopta.

Les Portugais et les Hollandais se partagèrent les terrains.

« À vous ceci, à moi cela, et soyons unis pour détruire. »

Amboine s’éleva, Amboine que nous saluons de la main, au-dessus duquel se dessine une forêt de mâts.

De leur côté, les Portugais couronnèrent les hauteurs de bastions et de citadelles ; un pacte sacrilège fut conclu et signé entre les vainqueurs. Il y avait trop de richesses dans les Moluques, il fallut les détruire. La flamme dévora des forêts entières, et les populations effrayées, ne comprenant rien à ces horribles incendies, y répondirent par des cris de rage et de désespoir. Cependant la force les soumit sans les dompter, et l’habitude du malheur les fit esclaves et assassins. Depuis les premiers jours de la conquête, l’usage immoral d’appauvrir la terre s’est conservé ; chaque année, des inspecteurs sont nommés pour aller détruire une partie des plantations, et il faut avouer qu’ils s’acquittent de leur mission sinistre avec un zèle et un dévouement au-dessus de tout éloge. Hélas l’histoire des découvertes européennes dans toutes les Indes justifie assez la sanglante réaction dont elles sont le théâtre.

Nous glissâmes devant Amboine, poussés par une brise imperceptible,