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notes scientifiques.

en dissolution. Lors donc que le vent qui souffle en mer apporte un air qui n’est pas saturé d’eau, la couche inférieure de l’atmosphère qui est en contact avec la surface de la mer dissout de l’eau nouvelle et se dilate. Cette cause, jointe à la légère augmentation de température, peut enfin amener les circonstances favorables au mirage, et produit, en effet, celui que les marins observent assez fréquemment.

Cette dernière cause, c’est-à-dire la dilatation de la couche inférieure de l’atmosphère, occasionnée par la dissolution d’une plus grande quantité d’eau, peut avoir lieu dans tous les instants du jour, lorsque le soleil est près de l’horizon comme lorsqu’il est voisin du méridien. Il serait donc possible qu’elle produisit les parélies, phénomènes dans lesquels, au lever du soleil et à son coucher, on voit deux images de cet astre en même temps au-dessus de l’horizon apparent. Mais je n’ai jamais eu occasion d’observer ce dernier phénomène, qui d’ailleurs est très-rare, ni de remarquer les circonstances qui l’accompagnent.

ADDITION.

Depuis la lecture de ce mémoire, j’ai eu de fréquentes occasions d’observer le mirage à terre, je l’ai fait dans des circonstances très-variées, dans des saisons très-différentes ; et les résultats, jusqu’aux plus petits détails, ont toujours été conformes à l’explication que j’en ai donnée ; en sorte qu’aujourd’hui je n’ai plus de doute sur son exactitude. De toutes ces observations, il n’y en a qu’une seule que je crois utile de rapporter.

J’étais, avec le général Bonaparte, dans la vallée de Suez, lorsqu’il reconnut le canal qui joignait autrefois la mer Rouge à la Méditerranée. Cette vallée de quelques lieues de largeur est bornée à l’est par la chaîne de montagnes qui s’étend de la Syrie au mont Sinaï, et à l’ouest par les montagnes de l’Égypte. Ces montagnes sont, de part et d’autre, assez élevées pour intercepter les rayons de lumière envoyés par les parties inférieures du ciel, et ceux de ces rayons qu’elles n’interceptent pas arrivent à terre sous un angle trop grand pour être réfléchis par la couche inférieure et dilatée de l’atmosphère. Ainsi, dans le moment même le plus chaud du jour, on ne voit sur la surface de la terre l’image réfléchie d’aucune partie du ciel, et l’on n’aperçoit nulle part l’apparence d’une inondation. Cependant l’effet du mirage n’est pas entièrement nul ; les objets visibles, placés à peu près à mi-côte, et dont la position correspond à celle des parties inférieures du ciel, dont l’image se réfléchirait, participent à cet effet d’une manière moins frappante, à la vérité, à cause de leur peu d’étendue, et avec moins d’éclat, parce que leur couleur est beaucoup plus obscure que celle du ciel. Indépendamment de l’image produite par les rayons directs, les rayons émanés de ces objets, et qui sont dirigés vers la terre, sont réfléchis par la couche inférieure de l’atmosphère, comme l’auraient été les rayons venus des parties inférieures du ciel, dont ils tiennent la place, et donnent lieu à une seconde image de ces objets, renversée et placée verticalement au-dessous de la première.

Cette duplication d’images produit des illusions d’optique contre lesquelles il est bon d’être en garde dans un désert qui peut être occupé par l’ennemi, et où personne ne peut donner des renseignements sur des apparences inquiétantes.