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voyage autour du monde.

sans énergie contre les maux présents qui l’écrasaient. Ténériffe mourra vaincue par un brick de guerre ou écrasée sous une colère de son volcan.

On s’échappe de Sainte-Croix comme on fuit le cadavre d’un reptile à demi putréfié, et Sainte-Croix pourtant est une capitale.

Puis vient le Brésil avec ses richesses minéralogiques, toujours prêtes à écraser celles qui font seules la gloire des empires. Ici, c’est la vieille Europe en hostilité permanente avec la jeune Amérique. La première, forte comme le torse qui n’approche pas encore de la vétusté ; l’autre, levant la tête ainsi que l’enfant insoumis révolté contre son maître.

Le Brésil est un contraste perpétuel et de tous les pas ; car la cité, belle, florissante et populeuse, touche au sol sauvage où vivent des peuples qui ne veulent point d’une société marâtre. Au surplus, le Brésil n’a pu être jugé par nous que dans sa capitale, où croupit tant de misère et où se pavane un luxe si étourdissant. À Rio, je crois vous l’avoir fait comprendre, la fortune est la première et la plus sûre des recommandations, et l’on ne juge du mérite de tel ou tel que d’après la somptuosité si mal entendue de ses vêtements ou de ses équipages, et la grosseur ou l’éclat de ses rubis et de ses diamants.

Mais si la capitale de ce vaste empire offre à l’œil de l’observateur cette double misère que je vous signale et que j’ai touchée du doigt, vous comprenez ce que doivent être les autres capitaineries, les villes intérieures, où retentit incessamment un cri d’indépendance et de liberté que le despotisme ne veut entendre que lorsqu’il ébranle les voûtes de son palais et fait trembler son trône.

Le Brésil m’a épouvanté surtout par ses prêtres et ses moines, puissance d’autant plus redoutable qu’on lui permet, à elle, toutes sortes de prédications, et qu’elle parle à la foule ignorante et agenouillée, qui ne demande qu’à rester dans cette humble posture volontairement acceptée.

Il y a trop d’esclavage sur la terre découverte par Cabral pour qu’il puisse aisément s’y répandre un parfum de liberté, de gloire et d’indépendance.

Je dis donc adieu au Brésil sans trop savoir si je lui devais des pleurs ou de l’admiration.

Le cap de Bonne-Espérance leva bientôt sa tête devant nous. Oh ! ici la puissance anglaise n’avait pas eu seulement à lutter contre des hordes d’anthropophages ; les Hollandais s’étaient d’abord montrés sur ce sol abrupte qu’ils avaient en quelque sorte façonné à leur industrie. La ville du Cap était avancée, et le commerce seul, à défaut des trésors que le Brésil et Golconde cachent dans les profondeurs de la terre et dans le lit des torrents, pouvait maintenir le léopard sur la Croupe du Lion et les batteries qui dominent la cité.

Qu’ont voulu les Anglais en s’implantant au cap de Bonne-Espérance ? Asseoir les bases d’un comptoir productif, et pas autre chose. Les navires