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SOUVENIRS D’UN AVEUGLE.

voyageurs leur paient tribut lorsqu’ils vont aux Indes Orientales ou qu’ils en reviennent. Le génie spéculateur ne voit guère au-delà.

Je vous ai dit l’influence de la colonie européenne sur les peuplades sauvages qui l’entourent et la circonscrivent ; je vous ai montré la civilisation ambitieuse et corruptrice, en guerre ouverte avec les mœurs farouches qu’on ne tente pas même d’apprivoiser. En autre, peut-être, vous dira bientôt les résultats fatals de cette apathie britannique pour toute conquête régénératrice, que les écrivains de chaque époque ont constamment reprochée au peuple le plus puissant du monde.

Table-Bay n’est plus qu’un entrepôt. Les Hollandais avaient jeté sur l’avenir de ce pays un regard moins égoïste, et tenté du moins de s’agrandir par la morale, bien autrement puissante que les persécutions et la tyrannie.

Quand on voit côte à côte Bourbon et l’Île-de-France, on se sent le rouge de la honte et de la colère monter au visage ; le cœur bat plus violemment au souvenir du marché d’ami imposé à la France par le traité de 1814, et l’on se hâte de détourner la vue du triste pavillon qui flotte sur l’édifice qu’on nomme, je crois, là-bas, à Saint-Denis, la Maison du Gouvernement.

En partant du cap de Bonne-Espérance, je me dis que le peuple anglais était un grand peuple.

Dès que je dis adieu à l’Île-de-France, dont je vous ai parlé avec tant d’amour, je me dis encore : Le peuple anglais est un peuple usurpateur, qui ne veut occuper nulle part une place secondaire dans l’histoire des nations.

En saluant Endrak, Edels, Irck-Haligs et la presqu’île Péron, je crus visiter une tombe : la vie est impossible sur ces plateaux de grès, de sable et de coquillages brisés. La Grande-Bretagne n’aura aucune conquête à tenter sur ces parages, à moins pourtant que vous ne vouliez, vous ou vous, essayer de vous y établir.

Puis vinrent Timor et les terres fécondes qui l’entourent ; Timor la sauvage et les îles ravissantes qui se courbent devant elle comme d’humbles sujettes. Ce qui fait la force de Timor, devenue colonie européenne, c’est la rivalité orgueilleuse des rajahs, qui se sont soumis d’abord pour implorer un appui, et qui n’ont pas eu plus tard la bonne volonté de s’affranchir du joug, tant la paresse est écrasante sous son climat de feu. Je dus m’éloigner de Timor comme on s’éloigne d’un volcan qui gronde, prêt à lancer ses laves et à ébranler la terre.

À quelques pas de Timor, je visitai une île de deuil et de massacres. On aspire à Ombay une odeur de sang qui épouvante. On voudrait avoir des ailes pour échapper au cric et à la flèche empoisonnée du farouche Ombayen.

Que vous dirai-je d’Amboine, jetée au milieu d’un nombre considéra-