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voyage autour du monde

qui se servaient du canon, en faisant, dans le même but, usage du mousquet, ce qui les exposait à moins de dangers et leur donnait plus de force et de facilité.

Près des côtes de la Floride, les sauvages, adroits et audacieux nageurs, prennent les baleines franches en se jetant sur leur tête et en enfonçant dans un de leurs évents un long cône de bois ; puis ils se cramponnent à cette arme, en se laissant entraîner sous l’eau ; ils remontent avec l’animal, et une fois à la surface, ils font entrer un autre cône dans le second évent. La baleine, ne pouvant plus respirer, est alors contrainte de se jeter sur la côte ou sur un bas-fond, afin de ne point avaler un liquide qu’elle ne pourrait plus rejeter et qui l’étoufferait. C’est alors que ces sauvages la combattent et en triomphent plus aisément.

Ce sont là de ces faits vraiment extraordinaires consignés dans de graves annales, et que Lacépède lui-même, entre autres écrivains, ne refuse pas d’admettre, car ils lui ont été confiés par des témoins oculaires et dignes de foi.

Les notes préliminaires que je consigne ici ne seront pas lues, j’espère, sans intérêt, puisqu’elles deviennent en quelque sorte une préface de la grande page que je veux écrire.

Les Basques sont, d’après certains voyageurs, les premiers peuples qui ont exploité la pèche de la baleine au profit de l’industrie. De vieux manuscrits relatent des faits fort curieux relatifs à cette pèche, qu’on a faite de temps immémorial sur les côtes de l’Éthiopie et de l’Abyssinie, et j’ai lu, je crois, que du temps de l’empereur Claude, une baleine s’étant montrée dans la rade même d’Ostie, des câbles furent tendus d’un môle à l’autre afin de la retenir captive, et que l’empereur lui-même se mit en mer avec une escadre de petits bâtiments pour attaquer le monstre, dont on vint à bout à l’aide des archers de la garde prétorienne.

Au surplus, chaque peuple, à tour de rôle, revendique pour lui l’honneur d’une noble découverte ou d’une entreprise hasardeuse ; et, s’il fallait se baser sur la logique des mots, résultant sans doute de la logique des faits, nous trouverions peut-être que les Castillans, dont les Basques depuis Henri de Transtamare étaient les humbles tributaires, auraient plus raison que les autres nations du globe de s’approprier l’honneur d’avoir les premiers osé attaquer dans son domaine le plus gigantesque des êtres vivants.

Les Asturiens suivirent de près les Castillans, et je vous défie d’expliquer à l’avantage d’un autre peuple l’acceptation par tous des mots espagnols donnés aux divers instruments des pécheurs. Ainsi, sur une liste anglaise de 1589, conservée dans la collection d’Hacluit, les manches des harpons sont appelés estacas, les couteaux à émincer machetes, les lignes à lance et à harpon va-y-venes et harponieras.

Les Anglais ne tardèrent pas non plus à imiter les Espagnols, auxquels