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souvenirs d’un aveugle.

vrir la gueule, alors le plus proche ou le plus hardi se précipite sur sa langue et la met en pièces.

Les baleines s’accouplent debout, et choisissent à cet effet une baie ou une rade tranquille. Elles mettent bas un baleineau (rarement deux) qui, en naissant, n’a guère que douze ou quinze pieds de longueur. Dès lors aussi les courses de la mer sont moins bruyantes, moins capricieuses ; elle se plaît dans les eaux où elle a commencé à exercer sa tendresse : peut-être craint-elle aussi de fatiguer son petit, qui ne tarde pas cependant à mettre à profit cette force merveilleuse que le ciel lui a donnée, et qui, semblable tout d’abord à un jeune poulain, bondit en étourdi, et donne ainsi le signal au guetteur constamment en alerte. On dit que la baleine porte de huit à neuf mois ; quelques naturalistes vont jusqu’à dix ou onze. Ce sont là des faits fort difficiles à constater.

Le naturel de ce cétacé est doux, même timide ; on n’en a jamais vu sans être attaquées se ruer sur les navires, et si l’on remarque moins d’emportement dans celles que l’on trouve pour ainsi dire égarées dans les régions voisines de l’équateur que dans celles qui fréquentent les latitudes polaires, c’est que la guerre permanente que celles-ci ont à soutenir leur apprend à user de leur force et de leur puissance.

Voici un rapide aperçu des rivages et des mers où les navigateurs ont rencontré des baleines.

Au Spitzberg, vers le vingt-quatrième degré de latitude ; au nouveau et à l’ancien Groënland, à l’Islande, au détroit de Davis, au Canada, à Terre-Neuve, à la Caroline, à cette partie de l’océan Atlantique austral vers le quarantième degré de latitude et vers le trente-sixième de longitude occidentale, à compter du méridien de Paris ; à l’île Mocha, quarantième degré de latitude, voisine des côtes du Chili, dans le grand océan méridional ; à Guatimala, au golfe de Panama, aux îles Gallapago, aux rivages occidentaux du Mexique, dans la zone torride ; au Japon, à la Corse, aux Philippines, au cap de Galles, à la pointe de l’île de Ceylan, aux environs du golfe Persique, à l’île de Socotora, près de l’Arabie Heureuse ; à la côte occidentale d’Afrique, à Madagascar, à la baie de Sainte-Hélène, à la Guinée, à la Corse, dans la Méditerranée, dans le golfe de Gascogne, dans la mer Baltique et dans la Norwége.

Maintenant devons-nous conclure de ces renseignements fournis et certifiés par les navigateurs que la baleine fréquente habituellement toutes les mers indiquées plus haut ? Non, car ce serait compromettre la vérité du fait de fonder la règle générale sur quelques exceptions, attendu que si des baleines se sont montrées près de l’île de Corse et dans le golfe de Gascogne, c’est qu’elles y auront été poussées et entraînées par quelque révolution marine. Duhamel, dans son Traité des Pêches, nous signale que dans la Corée on a pendant longtemps trouvé des baleines harponnées au Spitzberg ou au Groënland par des Européens. Ce fait seul