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voyage autour du monde

ce fut encore la mère qui, avant de mourir, s’élança et reçut le fer aigu dans le dos. On trouve dans la relation d’une course très-difficile faite par le capitaine Macker, de Hambourg, dans les mers de l’Inde, les tristes détails d’un événement qui semble prouver une haute intelligence chez la baleine, alors surtout qu’elle est occupée de sa défense.

Le guetteur signale à la fois deux ennemis à combattre assez éloignés l’un de l’autre. À l’instant les chaloupes sont armées, les harponneurs à leur poste, et la chasse commence. Au bruit répété des avirons, les baleines respirent avec plus de force ; elles voient le péril qui les menace, et les voilà côte à côte, se concertant peut-être sur les plus efficaces moyens de défense. Les canots sont évités ; chacun des monstres, à deux encablures, le premier à tribord, le second à bâbord, se tient en repos. Tout à coup ils s’élancent, et le navire entr’ouvert peut à peine assez manœuvrer pour aller se jeter sur les Séchelles, où nul des canots n’arriva.

Le capitaine Clarke, de Liverpool, dit aussi que, sur le banc de Terre-Neuve, où sa pêche, en 1816, avait été fort heureuse, il eut la douleur, presqu’à la veille de son retour, de voir les deux canots qu’il avait mis à la mer broyés à la fois par un seul coup de queue du redoutable cétacé, sans qu’il lui fût possible de porter secours aux équipages qui les montaient, tant la fureur du monstre était épouvantable, tant elle paraissait disposée à accepter une nouvelle lutte. La baleine, alors qu’on ne l’attaque pas, alors que la douleur ne la force pas à combattre, est d’une douceur merveilleuse ; on en a vu souvent escorter les navires comme des amis dévoués, et ne les quitter que parce que leur propre impatience et la rapidité de leurs mouvements ne s’accommodaient pas trop des allures lentes et régulières d’un vaisseau. Mais ce qui surtout a excité l’admiration et quelquefois même l’attendrissement des explorateurs, c’est l’amour qu’elles ont pour leur baleineau, amour aussi pur, aussi dévoué que celui de la sarigue ou du kangouroo, attachement de toutes les heures qui les pousse ardentes au-devant du coup fatal sous lequel va succomber leur imprudente progéniture. Mille exemples avérés, authentiques, me viendraient en aide si les rapports des pêcheurs les plus expérimentés pouvaient être révoqués en doute ; deux ou trois suffiront pour la justification du géant des mers.

Le capitaine Robert, d’Amsterdam, en était à sa neuvième victoire contre les baleines harponnées sur le large banc près de la côte du Chili, lorsque, par un temps très-calme, un nouvel ennemi lança à l’air ses jets immenses, comme pour annoncer qu’il acceptait le combat. Il y eut quelques instants de calme et de repos. Tout à coup, terrible dans sa colère, le monstrueux cétacé se précipita sur l’embarcation qui venait d’être mise à flot et la brisa contre le navire avec quatre des hommes qui la montaient. Un nouveau canot fut descendu du côté opposé où le désastre