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souvenirs d’un aveugle.

compilation amusante, si vous voulez, mais elle n’est vraie que dans le récit de certains épisodes détachés. D’ailleurs méfiez-vous de ces hommes qui parcourent la terre sans mettre le pied hors de leur cabinet. Étudiez aujourd’hui l’histoire naturelle dans Buffon, qu’on s’obstine à mettre entre les mains de l’enfance, et vous verrez si vous ne serez pas forcé de beaucoup désapprendre en avançant dans la vie.

Je m’étais rassasié, avant mon départ, de l’Histoire philosophique des deux Indes, par Raynal… Bon Dieu ! bon Dieu ! que d’hérésies ! Un coup d’œil, un seul, sur les pays dont il parle, m’en a mille fois plus appris que lui avec ses éloquentes pages, toutes gâtées par le mensonge.

De tous les voyageurs qui m’ont précédé dans ces périlleuses excursions, celui en qui, après cent heureuses épreuves, j’ai eu le plus de foi, c’est Cook. Son livre, c’est lui. Il est matelot intrépide, téméraire, parfois brutal ; mais il voit, il voit bien, et il décrit avec justesse, moins encore les détails que les masses : on dirait qu’il n’a pas le temps de regarder près de lui, et qu’il a hâte de fouiller à l’horizon pour de nouvelles découvertes. Cook est un grand homme et le premier des navigateurs anglais.

Vancouver a plus d’érudition, plus de finesse, plus de tact ; il creuse le sol qu’il visite, et la science lui a été un puissant auxiliaire.

Voyez comme Dampier est précis, méthodique, vrai ! ses écrits sont un miroir fidèle des objets qu’ils reflètent. Dampier se place bien près de Cook.

Bougainville s’amuse de tout, et joue avec les événements comme avec la vérité : c’est un capitaine de cavalerie sur une galère.

L’amiral Anson est un de ces navigateurs intrépides et expérimentés qui ne reculent en face d’aucun obstacle, qui se jettent, au contraire, au-devant des périls qu’on leur signale, et s’occupent bien moins de leur propre renommée que de la gloire du pays dont ils promènent en tous lieux le pavillon dominateur.

Les pages d’Anson ont une allure de franchise et d’enthousiasme parfaitement en harmonie avec le caractère que les biographes donnent à ce navigateur, qui a conquis si dignement les plus hauts grades de la marine royale.

Wallis s’assied à côté d’Anson par le courage et peut-être se pose au-dessus par l’élégance et la vérité de ses descriptions, empreintes cependant d’un peu de monotonie.

Malheur à qui, dans la relation de ces courses lointaines, étouffe l’intérêt sous le poids de la science ! On voyage peu avec celui qui ne s’adresse qu’à la pensée ; le cœur doit être de moitié dans toutes les jouissances.

Drack a mérité, comme Wallis, la belle réputation dont il jouit, et a attaché son nom à de grandes découvertes.