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souvenirs d’un aveugle.

ardemment les paroles sacramentelles est, sans contredit, ce Mac-Irton, Irlandais dont la vie miraculeuse a dû courir tant de dangers et dû éprouver tant de misère. Le consul anglais au Cap me dit les recherches que lui-mème avait ordonnées pour qu’on se saisît du fugitif ; mais il m’a dit aussi les craintes qu’il éprouvait de voir ses efforts couronnés de succès.

C’est par Mac-Irton qu’on a reçu les premières notions vraies de cette inconnue Tombouctou, sur laquelle bien des siècles passeront peut-être encore sans que de nouveaux et précis renseignements nous arrivent. Les hommes de l’intérieur de l’Afrique sont bien plus à craindre que leurs déserts, et les passions humaines plus redoutables que les colères des tigres et des lions.

Le matelot Mac-Irton montait un navire irlandais, mouillé alors en rade du cap de Bonne-Espérance ; son lieutenant, dans une manœuvre, l’ayant rudement frappé d’un trop violent coup de garcette, le matelot furieux lui répondit à l’instant même par un soufflet. Mac-Irton fut d’abord mis aux fers, jugé peu de jours après et condamné à mort. La sentence devait s’exécuter sur le pont du navire dans les vingt-quatre heures, et Mac-Irton, le pied rivé à un anneau de fer, attendait sur le gaillard d’avant le moment fatal. Déjà le coup de sifflet du maître avait appelé tout l’équipage, déjà un ministre protestant avait fait son office consolateur, quand un mugissement profond appela tous les regards vers la côte. Elle avait pris une teinte blafarde qui blessait la vue, la mer s’agitait sans rafales, des flots épais de poussière voilaient la ville comme dans une tombe, et sur le sommet de la Table passaient, terribles et menaçants, des flocons de nuages cuivrés qui roulaient, tombaient et remontaient, incessamment zigzagués par les éclairs et d’éclatantes étincelles ; l’ouragan élevait la voix, la grève attendait les victimes, et l’Océan ouvrait ses profondeurs, et les navires de la rade invoquaient le ciel ; tout à coup encore les éléments se déchaînent, et le chaos et la nuit règnent seuls. Mac-Irton ne veut pas mourir sans essayer du moins d’être de quelque secours à ses camarades, dont il est tant aimé, et le lieutenant est le premier à ordonner qu’on le prive de ses fers. Toutes les ancres sont mouillées, tous les câbles, toutes les chaînes tendues par la tempête, le navire plonge, se relève, retombe et rebondit, la mer est aux nues, et par un miracle du ciel, il échappe seul à la destruction générale.

Quoique mortelle à tant de navires, la tempête fut courte ; elle n’était pas encore apaisée que Mac-Irton, rendu à sa position première se rappela sa position de la veille, qu’il avait oubliée au milieu des tourbillons et du fracas de la nature. Du haut de la vergue où il était hissé il s’élança dans les flots écumeux et s’abandonna à la lame roulante. Tous le suivent d’un œil avide, tous font pour lui des vœux ardents, hormis le lieutenant, qui voulait un exemple propre à épouvanter l’équipage. La nuit et