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voyage autour du monde.

la turbulence des nuages cachèrent bientôt le pauvre matelot, et le lendemain le lieutenant ordonna qu’un canot allât à terre et que des recherches actives fussent faites pour se saisir du fugitif. Soins inutiles ; on sut qu’en effet un homme du navire irlandais avait été poussé et vomi sur les récifs de la côte ; on apprit qu’il avait échappé à la fureur de la tourmente ; mais on ignorait depuis lors ce qu’il était devenu.

Prévoyant bien le sort qui l’attendait dans la ville, Mac-Irton, sans vêtements, sans vivres, presque sans forces, s’enfonça dans les déserts qui avoisinent Table-Bay, et il aima mieux s’exposer à la dent des bêtes féroces que de retourner à bord implorer une grâce qu’on lui aurait sans doute refusée.

Ici commence le doute ou du moins le merveilleux. Mac-Irton seul est garant de la vérité de ses récits, et malheureusement sa raison, troublée par les fatigues, les privations et les périls, crée-t-elle peut-être un monde qu’il n’a pas vu. Quoi qu’il en soit, l’Irlandais se montra un jour à Alger ; le consul anglais reçut ses premières confidences et l’envoya à Londres avec une demande en grâce. On interrogea le matelot ; on recueillit scrupuleusement ses plus douteuses paroles, et on publia le récit de ses courses de quatre ans au sein de l’Afrique.

Il se sauva d’abord chez les Hottentots : ceux-ci alors en guerre avec les Cafres, lui confièrent le commandement de leur expédition. Fait prisonnier, on l’épargna et on l’emmena dans des expéditions plus lointaines, de sorte que, tantôt vainqueur, tantôt vaincu, Mac-Irton s’éloigna de jour en jour de la colonie où il n’osait plus rentrer. Enfin, après avoir signalé avec exactitude quelques-unes des villes africaines sur l’existence desquelles le doute n’était plus permis, il parla de la grande Tombouctou, d’où il partit pour le nord avec une caravane, en compagnie de laquelle il arriva à Alger. Mac-Irton mourut peu de jours après son arrivée à Londres ; mais, quoique imparfaits, il est certain que les documents qu’il a fournis n’ont peut-être pas peu contribué à signaler au monde cette capitale sauvage et cachée, dont l’existence n’est plus un problème.

Et si après ces noms, dont quelques-uns sont une gloire, nous osons citer le plus illustre de tous, je vous montrerai celui qui le porte planant sur les plus hautes cimes des Cordillères, étudiant le Cotopaxi, les volcans d’air de Turbaco, fouillant dans les profondeurs de la terre pour y découvrir des trésors ignorés jusqu’à lui, étudiant les steppes des deux Amériques, analysant de son œil d’aigle les richesses botaniques, minéralogiques, ornithologiques, dont il grandit le domaine de la science ; suivant le cours des fleuves, s’élançant dans l’abîme avec les cataractes, entrant dans les vastes cités pour en écrire les mœurs, les progrès ou la décadence ; philosophe, historien, physicien, astronome et dépensant à tant de travaux des sommes devant lesquelles reculeraient bien des gouvernements, et vous retrouverez cet Alexandre de Humbold, insti-