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XXIX

ÎLES MARIANNES

Course dans l’intérieur — Dolorida.

Deux pas en arrière me sont imposés, je reviendrai à Agagna sous peu de jours.

Que faire dans un bourg, dans une ville, quand on a tout étudié, quand on a tout vu ?

La vue est de tous les sens celui qui se rassasie le plus vite. Hélas ! que n’en suis-je encore à l’épreuve !

Il en est de ces choses belles et curieuses à voir comme de ces récits pleins d’intérêt qui, connus déjà, vous trouvent tièdes et froids à une seconde lecture. Je ne sais, en vérité, si nous ne serions pas moins émoussés par la présence fréquente d’un spectacle d’horreur que par un assemblage complet de beautés de tous genres.

La lèpre est ici l’hôte fatal de chaque demeure ; elle croit avec l’enfant qui vient de naître ; timide, elle l’escorte encore dans son adolescence, elle grandit et se fortifie avec lui, elle l’écrase dans un âge avancé, elle le pousse à la tombe¿ et nous allons, nous, hommes saints et forts, cœurs bons et généreux, l’étudier dans ses ravages, visiter le malheureux qui en est vaincu, comme si c’était là un spectacle doux à l’âme, un tableau consolant, une image de paix et de bonheur !

Que de contrastes en nous, que de misères nous nous faisons volontairement ! N’en avons-nous pas assez, bon Dieu, de toutes celles que le sort jette à pleines mains sur notre passage ?

Sentinelle toujours debout, la lèpre est permanente à Humata, je vous l’ai déjà dit, et cependant quelques individus encore n’en sont point atteints. Patience, elle a les bras longs et les ongles aigus, l’horrible