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SOUVENIRS D’UN AVEUGLE.

Dolorida voyait un ciel après cette terre, et la foi seule la soutenait dans l’horrible sacrifice qu’elle s’était imposé. Mais, au milieu de cette haute piété, que de stupides croyances, que de contes absurdes et révoltants ! Les sorciers et Dieu sans cesse en contact, en lutte, en querelle, tantôt vainqueurs, tantôt vaincus ; les démons sortant corps et âme de leur chaudière ; les anges surpris par des légions de réprouvés forcés de se jeter dans d’énormes bénitiers et de prononcer incessamment le nom de Jésus, afin de ne pas être entraînés aux enfers. Tout cela, je vous jure, fait mal à entendre ; tout cela pourtant n’ôtait rien à ce caractère de bienveillance et d’humanité dont la jeune Tchamorre avait été si saintement dotée.

Je lui promis de nouveaux secours avant mon départ de Guham, et je lui disais déjà adieu, quand je m’aperçus que Petit n’était pas avec nous ; mais il rentra un instant après, abattu, désolé, les yeux humides, et n’ayant pour tout vêtement que son large pantalon de matelot.

— D’où viens-tu ? lui dis-je.

— De là-bas, d’une maison où j’ai vu un vieillard qui m’a sabordé le foie.