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voyage autour du monde.

des cris de rage. Ici, une voix douce, des expressions de bonté, de reconnaissance, et puis deux prunelles noires et tendres qui ne me quittaient pas, deux petites menottes qu’on me livrait avec innocence, et de la joie sur tous les fronts, des sourires sur toutes les lèvres. Je me crus dans un nouveau monde. J’y étais en effet. Le frère arriva une heure après moi.

— Le voilà ! s’écria Mariquitta en lui sautant au cou : le voilà ! merci, frère.

— Oh ! j’étais bien sûr qu’il viendrait.

— Et moi, non.

— Resterez-vous longtemps ici ?

— Deux ou trois mois, j’espère.

— Et après cela, reprit Mariquitta d’une voix tremblante, vous repartirez ?

— Oui.

— Votre relique n’est pas bénite, me dit-elle en se levant ; voilà votre lenzo et votre bon Jésus, je n’en veux plus !

Elle ouvrit la porte, franchit, sans les toucher, les degrés de l’échelle et disparut à travers les ombres qui déjà voilaient la terre.

Je passai la nuit dans un hamac de la maison hospitalière, inquiet de cette fuite imprévue qui jetait aussi le trouble dans la famille. Cependant, vaincu par le sommeil, je m’endormis, et en me réveillant je vis Mariquitta sur l’escabeau, me balançant mollement à l’aide d’une petite corde tirée du cocotier.

— Ah ! te voilà donc ! tu nous as fait bien de la peine.

— J’en ai eu beaucoup aussi, moi.

— N’en as-tu plus maintenant ?

— Oh ! la peine ne s’en va pas si vite ; elle vient tout d’un coup et puis elle reste.

— Où donc as-tu passé la nuit ?

— Là-bas, près de l’église. J’ai prié Dieu pour obtenir quelque chose.

— Que lui as-tu demandé ?

— De la santé pour toi pendant deux ou trois mois, et après une grosse maladie.

— Je te remercie de tes vœux.

— Si le ciel est bon, il m’exaucera. Quand on est malade, on ne s’embarque pas, on ne va pas parcourir le monde, on se repose où l’on est. Si tu savais comme on est heureux à Guham, à Agagna surtout ! on fait bâtir deux maisons à côté l’une de l’autre, on peut avoir deux hamacs bien rapprochés, ou s’aime bien et on prie Dieu ensemble. Tu vois que j’ai demandé au ciel une chose fort juste.

— Mais tu m’aimes donc, Mariquitta, moi qui n’ai rien fait pour cela ?

— Je ne sais pas si je t’aime ; mais, vois-tu, cette nuit la lune a été