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voyage autour du monde.

— Je t’accompagne.

Son père, sa mère, sa sœur, voulurent m’escorter aussi, et nous nous plaçâmes tous dans un canot appartenant à la famille. Arrivés au mouillage, nous mîmes d’abord pied à terre pour déjeûner et nous faire nos derniers adieux.

— Donne-moi ton chapeau, me dit Mariquitta, donne-moi la cravate aussi ; je volerai demain, à l’église, mon scapulaire et mon Jésus-Christ ; j’aurai bien des choses de toi… et toi !… ô mon Dieu ! mon Dieu !…

Mariquitta s’élança dans le bois et disparut. Sa sœur et moi allâmes à sa recherche, et, après une heure de peine, nous la trouvâmes au pied d’un bananier qu’elle tenait convulsivement embrassé.

— Merci, me dit-elle en voyant sur mes traits la douleur que je ne pouvais maîtriser ; merci, car tu m’aimes, n’est-ce pas ? Je voulais me laisser mourir ; je vivrai maintenant ; pars !

— Désirerais-tu venir avec nous ?

— Pars : quelqu’un me parlera de toi quand tu seras loin.

— Qui donc, Mariquitta ?

— Lui ou elle, tu le sais bien.

Je rejoignis le bord, et l’on virait déjà au cabestan ; je saluai de la main, des yeux et du cœur ma bonne Tchamorre, dont la gracieuse silhouette disparut à travers le feuillage. Mais, quelques instants après mon arrivée au navire, le vent changea, et à moins d’un nouveau caprice de l’atmosphère, nous ne devions mettre à la voile que le jour suivant, au lever du soleil.

— Oh ! tant mieux ! m’écriai-je, je la reverrai encore.